Émancipation


Tendance intersyndicale

Wobblies

Wobblies est une histoire graphique “of the Industrialworkers of the World”, publiée en France en 2019 par les éditions Nada, coordonnée par Paul Buhle et Nicole Schulman.

Il est des livres comme avec les êtres : c’est parfois une rencontre essentielle qui ouvre l’horizon, et ce, alors qu’en ce printemps 2020, c’est partout l’atomisation. L’ouvrage de 300 pages est initié en 2015 par Georges Kucievitcz, né à New York dans une famille d’ouvriers du bâtiment : “on m’a donné le goût du syndicalisme dès le biberon, j’ai grandi dans les année 1960, je ne pouvais pas ne pas croiser un jour la route des IWW […] je dédie cet ouvrage à mon grand-père qui a refusé de combattre dans l’armée du tsar, ainsi qu’à mon père qui m’a appris que la classe possédante et la classe ouvrière n’ont strictement rien en commun. Nous n’oublierons jamais”.

Le livre se décline en six chapitres : les origines ; les grèves ; les wobblies par monts et par vaux ; répressions, martyrs, grèves générales ; après le martyr et les iww sont toujours vivants. Chaque chapitre comprend cinq à six “histoires”, portraits de militante·s, magistralement écrites et dessinées par des auteur·es américain·es dont, notons-le de nombreuses femmes : Sue Coe, Sabrina Jones, Barbara Laurence, Trina Robbins, Sharon Rudahl, Susan Simensky Bietila.

Trente cinq récits dessinés en noir et blanc, associés à un appareil critique clair et très documenté qui donne à comprendre les enjeux d’hier et de demain. Par exemple, en page 172, en introduction au chapitre : Répressions, martyrs, grèves générales, on peut lire “Les révoltes de 1919, la grève générale de Seattle, les grands défilés du premier mai, les différentes actions de solidarité purent laisser penser que la répression avait eu pour effet de raviver la flamme de la lutte des classes, espoir vite révolu : le jeune mouvement communiste parvint à s’autodétruire (bien aidé, il est vrai par les agents de la police), tout comme le Socialistparty, déchiré par des conflits internes, chacun des camps en présence s’égarant dans la quête de la formule révolutionnaire parfaite, alors que les militants radicaux étaient confrontés à des problèmes concrets bien plus urgents”. À méditer !

Mais qui sont les wobblies ? Le 27 juin 1905, à Chicago, deux cents délégué·es fondent les Industrial Workers of the World (IWW). Leur objectif : détruire le capitalisme et l’État pour en finir avec la domination. Leur arme : une organisation syndicale internationaliste réunissant tou·tes les exploité·es, hommes et femmes, amaricain·es ou immigré·es sous la bannière “one bigUnion”. Leur stratégie : la lutte des classes et l’action directe. Ces hommes et ces femmes, connues sous le nom de wobblies sont à l’origine du mouvement le plus radical de l’histoire des États-Unis. Pionnier·es de la contre culture américaine, dont les influences perdurent jusqu’à aujourd’hui, ils/elles vont faire trembler le pouvoir et subir une répression à la hauteur de la menace qu’il/elles représentaient. Noam Chomsky en parle ainsi : “les wobblies ont apporté une contribution unique, déterminante, et remarquable à la culture américaine et aux luttes toujours actuelles pour la liberté et la justice”.

Parmi ces figures des luttes, l’histoire de Judi Bari, infatigable combattante (1949-1997) qui a perdu ses jambes du fait d’une bombe, très vraisemblablement posée sous son siège de voiture par la police en 1990, qui écrivait : “ce système ne peut être arrêté par la force, il est violent et sans pitié, bien plus fort que les capacités de résistance de n’importe quel mouvement populaire. Je ne vois qu’une seule méthode pour en venir à bout : le développement massif d’une force de non coopération”. L’histoire de Joe Hill, écrite et dessinée par Lisa DiPetto, est aussi particulièrement forte. Né en 1879 en Suède, orphelin en 1902, il embarque vers le “rêve américain”, dans les faits, une “vie de chien” qui l’amène à voyager, à vagabonder (comme de très nombreux wobblies qui s’accrochaient aux wagons des trains de marchandises pour aller travailler partout dans le pays). Il compose alors des chansons de lutte devenues très célèbres. Le 19 novembre 1915, il est exécuté en prison pour un crime qu’il n’a pas commis. À Chicago, 30 000 personnes assistent à ses funérailles et ses chansons sont reprises en choeur jusqu’à la nuit, et ses cendres furent réparties dans des centaines d’enveloppes, éparpillées dans tous les États ! La maison de son enfance est devenue un musée en Suède, régulièrement attaqué par des fascistes locaux ! Ce sont les chansons qui symbolisent le mieux l’originalité, l’humour et la force radicale des wobblies (à ce jour, depuis 1909, 38 rééditions du Little Red Songbook). Alors, apprenons des chansons, et chantons encore !

Emmanuelle Lefevre

Wobblies, Bande dessinée coordonnée par Paul Buhle & Nicole Schulman, 2019, 308 p., 26 €


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