Émancipation


Tendance intersyndicale

Victorine B.

Dossier

C’est sous ce prénom et cette initiale suivie d’un point, que Victorine Brocher, femme à la vie hors du commun, ambulancière sous le siège de 1870 puis, cantinière sous la Commune de Paris, choisit de signer son livre Souvenirs d’une morte vivante en 1909. Une manière de rester du côté des anonymes, compagnes, filles, sœurs, de ces Communards, ceux qu’elle appelle tout au long de cet émouvant récit, ses compagnons de lutte et qu’elle accompagna dans les combats jusque dans les dernières heures de la Semaine sanglante.

Victorine est née le 4 septembre 1839 à Paris au sein d’une famille bourgeoise très républicaine. Très jeune, elle assiste régulièrement aux discussions entre son père et ses amis politiques et elle se forge une conscience républicaine qui ne la quittera jamais. Après une maladie qui dure une année entière à Orléans, elle est mise en pension chez le couple républicain les Texier, amis de sa famille, qui lui apportent entre-autre une précieuse éducation, puisque qu’elle écrira de M. Texier “surtout, il nous apprenait à penser”. Ses parents l’emmènent avec eux dans les rues de Paris où elle est témoin direct de la révolution de 1848 et des massacres qui la suivirent en juin. Son père qui faisait partie de différentes sociétés, entre autres le Grand Orient, est un fervent opposant à Louis Napoléon Bonaparte ; il sera obligé de s’exiler en Belgique à la suite du coup d’état du 2 décembre 1851.

Mariée en 1861 à un ancien soldat, Charles Rouchy, elle revient s’installer à Paris avec lui dès 1862. Le couple tient un magasin de cordonnerie. Elle et son mari, figurent parmi les tous premiers membres de l’Association Internationale des Travailleurs, et elle gardera tout au long de sa vie foi en les valeurs de l’internationalisme ouvrier. Le couple participe en 1867 à un projet de boulangerie coopérative qui échoue l’année suivante. Elle qui n’a jamais travaillé en usine, dénonce la situation des femmes du peuple à Paris, des ouvrières qui connaissent des conditions de travail terribles dans des ateliers souvent insalubres. Elle accuse le manque d’instruction et l’ignorance du peuple et revendique à plusieurs reprises dans son ouvrage la nécessité de l’éducation pour l’ensemble des citoyen·es, base d’une société nouvelle. Elle aura deux fils, dont elle s’occupa elle-même et qu’elle soigna, le premier mourut à l’âge de quatre ans, le second à 14 mois.

1870

Après Sedan, l’empereur déchu, la République est proclamée le 4 septembre : le récit minutieux de la journée montre l’exaltation de Victorine à cette annonce qu’elle appelait de ses vœux depuis des années. Pendant le siège, comme de nombreuses femmes, elle travaille pour gagner un peu d’argent, elle coud des vareuses et des pantalons, mais cela ne suffit pas à son désir d’être utile : “Je ne pouvais résister au besoin absolu qui m’envahissait d’entrer dans la lutte”. Elle réussit à suivre des cours pratiques sur les premiers secours à porter aux blessés auprès d’un comité faisant partie de la Convention internationale de la Croix-Rouge. Grâce à sa détermination, elle est admise comme ambulancière dans la 7ème compagnie du 17ème de la Garde Nationale, 7ème secteur. Elle raconte le froid, les rationnements drastiques imposés au peuple parisien, pendant que les généraux sacrifient les hommes de troupes ; elle maudit ceux qu’elle appelle les “inventeurs de guerre” ; “Il faut vingt ans pour faire un homme ! Notre œuvre à peine achevée, au nom de Dieu et de la Patrie, quelques ambitieux nous obligent à donner nos fils en pâture”.

La Commune de Paris

Elle et son mari intègrent dès le 20 mars, un bataillon pour la défense de la République, Alors qu’elle tient le mess des officiers, tout près de l’Hôtel de Ville, elle fait table ouverte deux heures par jour pour la population affamée qui ne manque pas. Elle assiste à la proclamation de la Commune et le raconte avec émotion : “Le suffrage universel avait légalisé le drapeau rouge de l’émeute. Les membres de la municipalité parisienne allaient siéger pour la première fois depuis 1793. Cette fois, nous avions la Commune !” Début avril, son bataillon part pour Neuilly et prend position dans le contrefort des remparts sous les tirs des Versaillais. Elle reprend du service pour secourir les blessés, elle-même échappe de peu à un tir d’obus. Puis c’est au fort d’Issy qu’elle exerce sa fonction d’ambulancière et qu’elle s’occupe des nombreux morts. Lors de la Semaine sanglante, elle prend part aux combats auprès de ses compagnons jusqu’au bout. Alors que la mort est proche pour tous, et qu’elle veut mourir à leur côté, elle reçoit leur drapeau des mains d’un des derniers gradés vivants qui lui ordonne de le cacher sur elle et de se sauver afin que le drapeau ne tombe pas aux mains des Versaillais. Plus tard, après s’être cachée jusqu’à la mi-juin, elle le brûlera afin “qu’il renaisse de ses cendres” et qu’il les guide “vers un avenir social meilleur et plus humain”.

Elle apprend qu’elle a été condamnée et à mort et exécutée par la cour martiale le 25 mai, comme incendiaire – pétroleuse, pour avoir été dénoncée par un voisin comme ayant participé à l’incendie de la Cour des comptes, ce qui est totalement faux. Sa mère a cru la reconnaître parmi les corps des innombrables fusillées, elle est donc officiellement déclarée morte. Cela explique le titre de son récit Souvenirs d’une morte vivante.

Ayant pu vivre cachée à Paris, jusqu’en 1872, elle se réfugie en Suisse dans un premier temps où son mari, viendra la rejoindre à sa sortie de prison. Veuve, elle épousera ensuite Gustave Brocher, un libre penseur avec qui elle élèvera plusieurs enfants de Communard·es. À Londres, en 1886, elle fut cofondatrice et institutrice de l’école internationale dirigée par Louise Michel qu’elle avait rencontrée très brièvement à Paris en mai 1871 et avec laquelle elle avait participé à la manifestation des chômeurs du 9 mars 1883. Elle a écrit dans de très nombreux journaux dont Le cri du Peuple, Le drapeau noir, La lutte. Fidèle à l’Internationale, elle se rapprochera de ses amis anarchistes. À sa mort en 1921, elle est saluée par eux comme “la doyenne des Communardes, l’héroïque porte-drapeau des barricades”.

Ce portrait a été écrit à partir du livre Souvenir d’une morte vivanteUne femme dans la Commune de 1871, Victorine Brocher, éditions Libertalia, mai 2017 et du Maitron.

Joëlle Lavoute


par

Étiquettes :

Commentaires

Laisser un commentaire