Émancipation


Tendance intersyndicale

L’auto-organisation au service de la construction d’un mouvement féministe fort

Rencontres nationales de la coordination féministe

Les 22 et 23 janvier derniers se tenaient les premières rencontres de la coordination féministe nationale, regroupement de collectifs féministes de toute la France né il y a environ deux ans.

Des rencontres très attendues

Elles avaient dû être repoussées du fait de la pandémie. Jusqu’ici ce sont des réunions en visio et surtout l’écriture de textes communs lors de journées d’action (comme le 8 mars et le 25 novembre) qui avaient structuré cette coordination, dans le but de porter une ligne politique féministe clairement anticapitaliste, antiraciste et inclusive. Lors du week-end de janvier, 300 personnes, près de 100 collectifs, se sont réunies à Rennes autour de deux thèmes principaux : la construction de la grève féministe et la lutte contre l’extrême droite. Parmi les collectifs présents se trouvaient des collectifs de collage, des collectifs LGBTQI+, des collectifs révolutionnaires, des collectifs de travailleur·ses du sexe, des collectifs “Nous Toutes” ne se revendiquant pas du collectif parisien…

Si tous les collectifs ont pour objectif de se fédérer pour créer un mouvement féministe internationaliste fort, autonome des cadres institutionnels, chacun reste néanmoins souverain, au sens où il ne s’agit pas de dissoudre les particularités, mais plus de s’organiser autour de revendications et de définir ensemble les lignes rouges politiques que les collectifs ne sont pas prêts à franchir.

Un objectif fort : construire une grève féministe d’ampleur

Après des ateliers débats de formation sur différents thèmes le samedi matin, l’objectif était de discuter de revendications sur ces deux axes et de commencer à s’organiser pour rendre visibles ces revendications. Les discussions ont notamment porté sur le rapport à la grève féministe, grève du travail reproductif (au sens de la reproduction de la force de travail), salarié ou non. Le constat partagé a été celui de la difficulté à construire une telle grève, pour de nombreuses raisons. D’abord parce que les femmes et les minorités de genre sont dans la plupart des cas parmi les plus précaires de la population et que faire grève est à la fois “risqué et coûteux”. Ensuite parce qu’il semble toujours difficile de porter une grève du travail reproductif non rémunéré quand la charge (des enfants, des tâches…) incombe à ces personnes malgré tout. La question s’est posée de savoir comment s’adresser à toutes avec des moyens d’action différents en fonction des réalités, comment aussi relier le féminisme urbain (qui fonctionne par AG et manifestations par exemple) et le féminisme rural, de fait plus éloigné géographiquement et qui peine parfois à se raccrocher au premier. Autant de questions politiques qui ont structuré les débats et questionné nos manières de militer pour fédérer plus et mieux, de manière pleinement inclusive.

Une autre difficulté soulevée sur ce thème a été celle de la difficulté de s’organiser, localement, avec les cadres du mouvement ouvrier supposés porter la question de la grève, et notamment les syndicats. De nombreux collectifs ont témoigné des conflits, parfois forts, qui peuvent exister entre les cadres d’auto-organisation et les syndicats. La ligne rouge principale étant celle du travail du sexe, et de l’exigence revendiquée par les travailleur·ses du sexe de ne pas être confronté·es à des organisations abolitionnistes, quand les politiques gouvernementales abolitionnistes mettent les personnes dans des situations de danger et de précarité accrue via leurs politiques prohibitionnistes.

Malgré ces difficultés, la question de la différence entre les directions syndicales, verrouillées, et les militant·es des syndicats a été posée et avec elle la question de l’interpellation des directions syndicales, quand elles s’obstinent à nier la réalité du mouvement féministe en train de se construire à côté d’elles. L’appel de fin de rencontres (voir ci-contre) est sur ce point une main tendue aux syndicats dans le but d’organiser une grève féministe massive.

Conscients qu’une grève féministe se construit, les collectifs de la coordination se sont accordés sur l’idée que si le 8 mars 2022 ne sera pas encore une grève massive, il faut construire dès maintenant le 8 mars 2023 et au-delà une grève forte, en s’organisant avec les travailleur.ses, collectifs, etc.

Un féminisme résolument inscrit dans le mouvement social

Sur la question de l’extrême droite, l’objectif était double : mener une discussion sur une caractérisation de la période (montée de l’extrême droite, État réactionnaire…) mais aussi montrer que la lutte contre l’extrême droite doit passer aussi par les collectifs féministes, qui dénoncent toutes les formes d’exploitation et d’oppression qui traversent la société. Un féminisme résolument déterminé à faire pleinement partie du mouvement social, quand on l’a souvent cru ou relégué à côté de lui. Un féminisme tourné vers les collectifs qui luttent déjà sur ces questions, pour construire ensemble.

Si le week-end a été trop court pour traiter en profondeur tous les sujets importants, il faut noter que la question de la construction d’un mouvement féministe international a été soulevée, et que des contacts existent déjà entre certains collectifs qui étaient présents et des réseaux internationaux. La coordination continue à se structurer par des outils de communication à distance et prévoit déjà de nouvelles rencontres au début de l’été, pour continuer le travail de formation, élaboration, construction.

Quelles tâches pour soutenir cette coordination ?

Véritable démonstration de la force d’une auto-organisation bien comprise et au service des luttes, ces rencontres ont fait émerger, en peu de temps, toutes les tâches mais aussi toutes les difficultés de la période : un foisonnement de collectifs, de luttes, d’envies, mais aussi une certaine division des luttes, des difficultés à se fédérer avec toutes les composantes du mouvement social, voire de mener certains débats.

Si on comprend bien que toute coordination ou convergence ne peut se définir par et dans la dissolution des mandats ou “valeurs” des collectifs qui la composent, il n’en reste pas moins que la main tendue par la coordination aux organisations syndicales ne doit pas être négligée, même dans la perspective d’une coordination a minima.

Notre rôle est donc plus que jamais de rendre visible cette coordination dans nos syndicats, nos collectifs de lutte, pour œuvrer à sa structuration, dans le respect de la coordination. Il est regrettable que la FSU et la CGT par exemple aient refusé de venir à la coordination aux motifs que la question du travail du sexe clivait et/ou que l’organisation se faisait en non-mixité. Une question se pose à nous, dans les organisations syndicales : à l’heure où le constat est sans appel pour ces organisations, qui se vident de plus en plus de leurs militant·es, il semble malvenu d’attendre des collectifs auto-organisés qu’ils se plient à l’agenda syndical quand les syndicats devraient plutôt aller vers les collectifs auto-organisés. Entre la volonté de garder la main (mais une main bien creuse) sur les mouvements et celle de construire véritablement un mouvement fort, dont les prémisses sont non seulement bien présentes mais prometteuses, il faut choisir. Soyons le grain de sable dans la chaussure des directions syndicales, pour opérer le choix juste, et plus que jamais, investissons les cadres auto-organisés pour construire un mouvement d’ampleur, en France et à l’international !

Karine Prévot

Appel des rencontres nationales féministes de Rennes

Les rencontres nationales de la coordination féministe ont été un succès. Nous étions ce week-end près d’une centaine de collectifs, associations, assemblées féministes réuni·es à Rennes, et près de 300 personnes en présentiel et en visio : des femmes, des hommes trans, des personnes non-binaires, de tous âges et de toute la France, de la ville et de la campagne.

Nous souhaitons participer à l’émergence d’une société féministe, égalitaire et solidaire de tou·tes. Parce que nous vivons dans une société qui est tout à la fois patriarcale, capitaliste, raciste, antisémite, islamophobe, LGBTQIAP+phobe, putophobe, validiste, psychophobe… nos luttes doivent être celles de tou·tes les dominé·es. Nous sommes conscient·es de la nécessité de défendre et de faire avancer les droits des “minorités”. Migrant·es, sans papiers, trans, lesbiennes et bi·es, travailleur·euses du sexe, handicapé·es, victimes du racisme et de l’antisémitisme, chômeur·ses et précaires subissent d’autant plus le patriarcat, les violences économiques et administratives. De même, après deux années d’attaques répétées contre le droit d’étudier, nous souhaitons visibiliser les étudiant·es, souvent oublié·es des luttes, à un moment où il est question de privatiser l’enseignement supérieur.

Nous partageons tout·es le refus des politiques anti-sociales et la nécessité de lutter contre les mouvements, idées et politiques des extrêmes droites toujours plus présentes dans les médias et la vie politique. La destruction méthodique des droits et des acquis sociaux est indissociable de l’accentuation des violences et des discours de haine. C’est pourquoi nos luttes sont profondément antifascistes.

Nous sommes aujourd’hui particulièrement exploité·es au travail : en occupant des emplois difficiles, dévalorisés, précarisés et moins bien payés. À titre d’exemple nous occupons encore les trois quarts des salaires les plus bas.

Cette situation de précarité économique aggrave les violences déjà subies car nous manquons de l’autonomie nécessaire pour nous protéger des situations de violences, que ces dernières aient lieu dans le foyer ou au travail. La lutte contre les féminicides, centrale aujourd’hui, est aussi une lutte pour l’indépendance économique des femmes et des minorités de genre.

Parce que nous refusons un système productiviste destructeur, nous luttons également pour une société qui prenne soin des humain·es et de l’ensemble du vivant. L’écologie fait partie intégrante de nos luttes.

Nous nous opposons à la diffusion des idées complotistes, intrinsèquement antisémites, et qui ont, dans le contexte de la pandémie, accentué très fortement l’asiaphobie et l’antisémitisme. La diffusion de ces idées engendre une augmentation des violences contre les personnes et elles empêchent la construction de mouvements sociaux émancipateurs.

Nous refusons la récupération et le dévoiement des luttes et des mouvements féministes par l’État et le gouvernement, en particulier à des fins racistes et islamophobes.

Nous voulons au contraire construire un mouvement autonome et auto-organisé. Pour cela, nous avons discuté et élaboré des stratégies autour de la grève féministe et de la lutte féministe contre les extrêmes droites. Nous avons également tenu des moments de réflexion autour de la révolution et du féminisme, de la lutte contre les mouvements anti-trans, des luttes trans et féministes, de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, du féminisme décolonial et antiraciste, du syndicalisme et du féminisme, des luttes féministes et écologiques, de l’organisation d’actions de désobéissance civile, des luttes des travailleur·ses du sexe, et des luttes antivalidistes.

Nous appelons à la grève féministe pour le 8 mars 2022 autour de deux axes politiques centraux : le soutien aux travailleuses premières de corvée, afin de rendre visibles les invisibles, qu’elles soient salariées ou non, ainsi que la lutte contre toutes les violences de l’extrême droite, du racisme, du patriarcat et du capitalisme.

Dans ce cadre, nous espérons pouvoir construire ensemble ce 8 mars 2022 avec l’ensemble des organisations syndicales, en déposant des préavis de grève, en appelant d’ores et déjà à la grève féministe pour le 8 mars, en déposant des heures d’information syndicales, en mettant en place des caisses de grève, etc.

Nous appelons toutes les organisations syndicales à prendre la mesure du moment que nous sommes en train de vivre et du renouveau et de la force des mouvements féministes de ces dernières années !

Mais nous savons que pour qu’une grève féministe de masse ait lieu en France afin de construire un rapport de force permettant d’obtenir de véritables victoires, nous devons travailler sur le long terme.

C’est pourquoi nous travaillons dès à présent à la construction du 8 mars 2023 et d’une grève féministe de masse : pour cela nous sommes convaincu·es qu’il nous faut partout développer des cadres d’auto-organisation, travailler à définir des revendications communes, avoir du matériel à proposer, une caisse de grève de la coordination.

Nous organiserons de nouvelles rencontres féministes cet été pour faire le point sur l’organisation du 8 mars 2023, nos actions passées et à venir, et pour continuer de construire la coordination.

Cela doit nous permettre de proposer des alternatives concrètes au système et de ne plus le subir, chercher des victoires, relever la tête, et construire un autre monde.

Par ailleurs, en cette période de montée des extrêmes droites, la coordination appelle à soutenir les initiatives de la campagne Antiracisme et Solidarité pour la mobilisation du 2 avril et les organisations membres formeront des cortèges féministes dans les manifestations contre les frontières.

Nous débordons tou·tes d’enthousiasme, ému·es de l’ampleur de ces rencontres. Nous nous engageons à œuvrer dans les mois et l’année à venir pour développer les mouvements féministes, renforcer les alliances et solidarités entre les organisations et militant·e·s féministes aux luttes diverses.

Nous appelons tous les collectifs et organisations féministes qui adhèrent à nos convictions à rejoindre la coordination féministe.

Uni·es et fort·es, nous saurons avancer vers une société débarrassée du patriarcat et de toutes les formes d’oppression et d’exploitation.

Rennes, le 23 janvier 2022


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