Émancipation


Tendance intersyndicale

Qui est-ce qui est très gentil ? les gentils…

Où Darmanin criminalise, institutionnalise le fichage des exilé·es et en profite pour bafouer leurs droits judiciaires

Surfant sur une vague de xénophobie déversée par les éditorialistes de CNews, BFM et autres, Darmanin s’apprête à présenter une énième loi asile et immigration. Pire, il piaffe d’impatience et avant même de proposer un texte au parlement, envoie le 17 novembre 2022 une circulaire aux préfets qui déclare ouverte la chasse aux exilé·es.

Début novembre 2022, Darmanin et Dussopt étaient interrogés par Le Monde sur le projet de loi “immigration” qui devrait être examiné début 2023. Dans cette interview, Darmanin commence par distiller l’idée “qu’une petite partie des étrangers est responsable d’une grande partie des actes de délinquance”. À ces exilé·es, il oppose celles et ceux qui essayent de s’intégrer par leur travail et arrive à la conclusion que “l’on doit être méchant avec les méchants et gentil avec les gentils”. Quelques jours plus tard, il va encore plus loin et demande aux préfets d’inscrire les exilé·es sous obligation de quitter le territoire français (OQTF) au fichier des personnes recherchées, pour mieux savoir, prétend-il s’ils.elles quittent la France. Quelles autres libertés seront bafouées par cette inscription ?

Un recul sans précédent

La circulaire du 17 novembre est un recul énorme pour les exilé·es, sans aucun passage devant le parlement, comme écrit dans la circulaire elle-même : “Sans attendre les nouvelles évolutions législatives, je [Darmanin] vous demande de vous saisir de toutes les dispositions du droit en vigueur”. Il demande ainsi de prendre des OQTF pour tous les exilé·es en situation irrégulière, de refuser le délai de départ volontaire (délai donné, en général, dans les OQTF pour que les exilé·es puissent partir volontairement), de systématiser les interdictions de retour, assigner à résidence systématiquement… Pour être plus efficace sur les expulsions (dites “mesures d’éloignement” en langue préfectorale), le nombre de places en centre de rétention doit être augmenté immédiatement, soit 220 places en plus avec la perspective de passer de 2200 à 3000 places en 2025-2026.

En poursuivant la lecture de la circulaire, on découvre que Darmanin demande aux préfets de former des polices de séjour qui débusqueraient tous les exilé·es en situation irrégulière ou dont le titre de séjour arriverait à échéance. Il va même plus loin et permet aux services préfectoraux de se rapprocher des organismes et bailleurs sociaux pour supprimer les aides aux personnes irrégulières et les chasser de leurs logements. C’est une vraie traque des exilé·es en situation irrégulière, désormais dotée d’une police, de liens avec les organismes sociaux, avec les systèmes d’informations internationales (système d’informations de Schengen).

L’accès aux droits empêché

Mais les idées nauséabondes de Darmanin, soutenu par Macron, ne s’arrêtent pas là, il expose, toujours dans Le Monde du 2 novembre, ses idées sur l’évolution de la loi sur l’immigration : il veut aller encore plus vite pour la délivrance des OQTF et réduire encore plus les recours. Il écrit : “La rapidité est la clé du système. Aujourd’hui, quand quelqu’un demande l’asile en France, il peut se passer un an et demi avant que la Cour nationale du droit d’asile [CNDA] lui dise éventuellement non, puis le préfet prend une OQTF et, s’il y a un recours, on est reparti pour au moins six mois. Donc il se passe parfois deux ans avant que la personne ne soit expulsable. Elle a eu le temps de trouver un travail, au noir, et peut-être de faire des enfants. Voilà comment on se retrouve avec des dizaines de milliers de personnes qu’on ne peut pas expulser, alors qu’elles sont sous OQTF. Cette situation n’est pas tenable. Il ne faut pas laisser le temps de créer des droits qui viendraient contredire des décisions prises légitimement par les préfectures”. Beaucoup de choses à redire sur ce passage, en premier que les exilé·es ont des droits de recours et doivent en avoir, face à des décisions de l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides : premier organisme qui examine les demandes d’asile) qui ne prennent souvent pas en compte l’ensemble de la situation de l’étranger. En effet, l’OFPRA va écouter et tirer des conclusions sur la situation qui lui a fait quitter son pays, mais pas sur les conditions de son parcours jusqu’en France.

Pour ne citer qu’un exemple de refus parmi d’autres, la situation de G., jeune exilé contraint de quitter le Mali car esclave dans une mine, n’est pas reconnue par l’OFPRA qui nie le travail des enfants dans ce pays. L’OFPRA ne prend pas non plus en considération le périple de ce jeune à travers toute l’Afrique, notamment la Libye en guerre où il a été retenu puis la traversée en canot de la Méditerranée. Il est donc débouté de sa demande.

Une fois qu’ils.elles ont reçu le refus de l’OFPRA et de la CNDA, les exilé·es ne pourraient-ils.elles pas avoir la possibilité de faire une demande classique de titre de séjour étudiant ou salarié suivant leur situation ? Dans les faits, ce n’est déjà pas possible car les préfets délivrent des OQTF systématiques dès le refus de l’OFPRA, et la nouvelle loi ne fera qu’accentuer cette tendance. Que penser enfin du ton général adopté dans la déclaration de Darmanin “voilà comment on se retrouve avec des dizaines de milliers de personnes…” digne d’un tract du Rassemblement national ?

Les “métiers en tension”, un miroir aux alouettes

Afin, sans doute, d’éviter l’écueil de refus de Macronistes de voter la loi, comme cela a été le cas de quelques députés à la marge en 2019, Darmanin veut faire croire qu’il y a des avancées pour certains exilé·es dans sa future loi. À l’Assemblée le 7 décembre, il cite Jacques Bainville de l’Action Française : “Le peuple français est un composé. C’est mieux qu’une race, c’est une nation. Unique en Europe, la conformation de la France se prêtait à tous les échanges de courants, ceux du sang et ceux des idées. La France est un isthme, une voie de grande communication entre le Nord et le Midi”, a déclamé Gérald Darmanin, indiquant que, “comme [Bainville], nous pensons que l’immigration fait partie de la France et des Français”. Il s’appuie sans scrupule (et avec conviction !) sur un royaliste, proche de Maurras pour justifier qu’il soutient l’immigration ! Qui est dupe de cette manœuvre ?

En accord avec Dussopt, il souhaite proposer un titre de séjour “métier en tension”, pour les exilé·es qui travaillent dans des métiers où il y aurait de la demande. Il est à noter que le motif “métier en tension” existe déjà pour la délivrance d’un titre de séjour. Le ministre fait croire qu’il tend la main à certains exilé·es et propose que la demande d’autorisation de travail soit faite par la personne elle-même et pas par son patron, pour éviter les tentations patronales de travail irrégulier ! Il va même jusqu’à citer Marx et lui fait dire que les patrons utilisent les sans-papiers comme armée de réserve ! Cynisme jusqu’au bout… Qui peut croire que Darmanin va poursuivre Vinci, Bouygues, Eiffage, les hôtels employant des femmes et des hommes exilé·es ?

Toutes ces dispositions réelles dans la circulaire et futures dans la loi immigration sont à combattre dès maintenant. Rassemblons-nous partout en France pour défendre les droits des exilé·es.

La migration n’est pas une promenade de santé, l’exil, une solution de facilité.

Des papiers, du travail, un toit et la citoyenneté pour toutes et tous, voilà les revendications que nous défendons !

Marine Bignon


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