Émancipation


Tendance intersyndicale

Retour sur les luttes

Iran

Le rejet par le peuple iranien du pouvoir des Mollahs est désormais massif. La jeune kurde Jina Mahso Amini qui succomba sous les coups des brutes des forces de police pour un voile délibérément mal ajusté, provoqua une colère éruptive des femmes kurdes iraniennes puis des femmes en général. La jeunesse révulsée par la brutalité de l’État et l’absence de toute perspective d’existence digne d’être vécue, prit la rue comme espace permanent de contestation et d’appel à la liberté. Désormais la répression implacable s’abat. Les victimes sont innombrables. L’heure est au bilan et à la réflexion stratégique de prise de pouvoir pour en finir avec cette république islamique.

Bahman Panjavi (1) nous fait part de ses réflexions.

L’Émancipation : Après la mort sous la torture de la jeune Jina Mahso Amini, comment s’est organisé le soulèvement dans ta ville à Mahabad, ex-capitale du Kurdistan iranien lors de la République kurde ?

Bahman Panjavi : Encore aujourd’hui le Kurdistan iranien est vécu par le pouvoir comme une entité régionale étrangère à la nation iranienne, tout en récusant toute revendication d’autonomie ou d’indépendance faite par notre peuple.

La répression est toujours beaucoup plus violente au Kurdistan qu’elle ne l’est dans le reste du pays. Il ne faut pas oublier la dimension religieuse. Nous sommes sunnites et cela, pour le pouvoir chiite des Mollahs, est un facteur de dissidence. Nous sommes vécus comme un corps étranger à la nation.

À Mahabad, la répression a été immédiatement violente. Nous avons eu à déplorer la mort de manifestant·es due à des tirs à balles réelles. Ainsi que dans toutes les villes du Kurdistan, à l’exception de Saghez, commune où Jina a été inhumée. L’hommage rendu a été d’une telle ampleur que les forces armées n’ont pas osé réprimer. La répression ne s’est abattue que quelques jours après les funérailles.

Au sud, à Zehedan chez les Baloutches sunnites, également vécus comme population étrangère, la répression a été tout aussi violente que chez nous.

L’Émancipation : Comment s’organise aujourd’hui la résistance ?

B. P. : Immédiatement après le meurtre de Jina une manifestation de révolte directe a surgi contre l’État et ses institutions, principalement celles de la police et de l’armée. Des affrontements violents se sont produits. Mais après plus de deux mois de climat de guerre civile, les partis kurdes ont compris que les jeunes manifestant·es se laissaient entraîner dans un conflit où le rapport de force n’était pas à leur avantage. Il fallait mettre un terme à cette erreur stratégique : 628 “sages kurdes”, représentatifs de notre peuple, ont fait une déclaration en direction des populations kurdes pour une opposition non violente considérant que déjà trop de sang avait été versé surtout au sein de la jeunesse. L’appel a été entendu.

De fait la répression a baissé en intensité. À l’échelle de l’ensemble du territoire iranien, nous avons dû déplorer la mort de plus de 600 mort·es dont 96 enfants. Mais depuis nous continuons, partout, à compter nos mort·es. Notre confrontation avec le pouvoir se situe désormais au niveau de celle de tout le pays.

L’Émancipation : Selon toi, assistons-nous à un soulèvement populaire sans réelles perspectives ou à une dynamique révolutionnaire sans concession ?

B. P. : À l’échelle nationale nous manquons de partis politiques avec des traditions démocratiques, susceptibles de porter un mouvement populaire vers un processus à dynamique révolutionnaire.

Bien qu’il soit important, le prolétariat n’est pas un prolétariat organisé, ayant conscience de ses intérêts de classe. Les Mollahs sont actifs pour éradiquer toute avant-garde ouvrière. Les grèves à caractère économique, essentiellement dans le secteur pétrolier, sont sévèrement réprimées. Elles ne se reconduisent que rarement au-delà de quatre à cinq jours. La classe ouvrière n’a pas de tradition organisationnelle et démocratique de l’action syndicale.

Ils/elles ignorent ce qu’est une caisse de grève ! Ils/elles sont démuni·es, faute de moyens organisationnels, dans les actions radicales.

La prégnance religieuse demeure un réel facteur d’oppression en milieu ouvrier, ce qui bride les prises de consciences collectives de solidarité de classe. Les raisons objectives d’exploitation sont pourtant bien réelles pour provoquer une explosion révolutionnaire.

L’économie connaît 130 % d’inflation, les salarié·es de la classe moyenne gagnent 150 à 300 euros alors que la viande et le riz sont des produits vendus au même prix qu’en France ! Un bout de viande est un luxe.

Quant aux ouvrier·ères, sans qualifications particulières, elles et ils touchent des salaires de l’ordre 40 à 50 euros.

La révolution en Iran aujourd’hui est essentiellement idéologique, bien que le pain et le travail soient au cœur des préoccupations quotidiennes.

Le sacrifice de Jina Mahso Amini a eu un retentissement symbolique considérable qui a catalysé toutes les frustrations vécues par les femmes et dans toute la jeunesse !

Il n’y a, aujourd’hui, en Iran aucune perspective pour les femmes. Elles sont les premières à supporter le chômage et le confinement domestique. La jeunesse, sans avenir économique, est en pleine détresse. S’ajoute évidemment la question des libertés, élémentaires et essentielles pour la vie d’une jeunesse bridée par les Mollahs. Dans les manifestations 85 % des manifestant·es sont des jeunes de moins de 30 ans.

Cette jeunesse n’entend pas désarmer. Elle considère qu’elle “n’a rien à perdre”… mais elle perd beaucoup, tant les victimes sont nombreuses.

Cette conscience collective qu’a la jeunesse de devoir affronter le pouvoir manifeste, certes, une détermination qui force l’empathie, et un profond sentiment de solidarité, mais révèle aussi une absence stratégique politique dont elle devra tirer un rapide bilan si elle entend maintenir son potentiel de lutte. Le rejet du régime est rédhibitoire, sans retour possible.

L’Émancipation : Outre les figures emblématiques de Jina Masho Amini et de Vida Movahed (révolte féministe de 2018) quelle est aujourd’hui l’importance de la femme iranienne dans le mouvement insurrectionnel actuel ?

B. P. : Rien ne naît du néant, revenons en amont de notre histoire.

Les femmes activistes kurdes ont joué un rôle déterminant dans un contexte national explosif de la condition de la femme iranienne.

La femme se trouve dans la quasi impossibilité d’avoir accès au travail alors que 60 % de la jeunesse inscrite en fac est féminine !

Cette permissivité pour les études “accordée” aux jeunes femmes par les Mollahs a constitué la charge explosive qui leur a explosé à la gueule !

Depuis 2018, à l’initiative de Vida, tous les mercredis, des manifestations impromptues d’étudiantes appellent à se libérer du foulard, à renverser le pouvoir des Mollahs.

Mais il ne faut pas oublier le rôle qu’a tenu à assumer l’avocate Nasrin Sotoudeh, emprisonnée pour avoir, sans jamais fléchir, défendu ses coreligionnaires kurdes devant les tribunaux du pouvoir. Fut également jetée en prison, Zara Mohammadi, jeune enseignante qui a défié le pouvoir en apprenant la langue kurde, langue interdite, aux enfants.

Le seuil de la peur est désormais franchi. La femme kurde entend faire changer de camp la peur du côté des Mollahs.

Cette approche apparemment désinvolte, face à la mort et à la violence, par la femme kurde se propage, telle une onde sismique, à l’ensemble des femmes iraniennes, et désormais à la jeunesse, aux couches intellectuelles et artistiques, au monde sportif.

Femmes, vie, liberté” a un écho international.

Notre révolution relève essentiellement d’une volonté de liberté, d’émancipation, de vie sociale et politique démocratique. Les français·es ont connu les mêmes aspirations en 1789 contre la monarchie et l’église obscurantiste.

Nous voulons une république laïque où le citoyen, la citoyenne demeure libre de ses choix vestimentaires, de ses aspirations religieuses ou philosophiques, de croire, de ne pas croire. L’athéisme s’affirme désormais et progresse dans les consciences en Iran.

N’oublions pas un autre aspect essentiel, ce mouvement “Femmes, vie, liberté” s’oppose frontalement au parti royaliste qui dénonce les ayatollahs pour être de mauvais musulmans, laxistes envers la religion, politiquement attachés à la république. Mais aussi contre les moudjahidin, milice sectaire, encline aux pires violences.

L’Émancipation : Le soulèvement au Baloutchistan répond-il à la répression du pouvoir des Mollahs avec la même détermination que celle des Kurdes ?

B. P. : Oui mais pour des raisons différentes.

Chez les baloutches la revendication essentielle est religieuse. Ils/elles veulent être reconnu comme peuple musulman sunnite. La revendication d’autonomie ou d’indépendance existe mais se manifeste avec moins d’insistance. Leur appartenance à la branche sunnite, comme nous, les disqualifie aux yeux du pouvoir, et la répression qui les frappe est semblable à celle que nous subissons. Mais pour nous, c’est moins la question religieuse ou économique que notre volonté d’indépendance qui domine.

Notre histoire nous distingue du reste du peuple iranien. Pour mémoire rappelons qu’il y eut une république kurde au Kurdistan-Est iranien prolongée jusqu’au Kurdistan azéri en 46, mais elle prit fin en 47. Son président Qazi Mohammad, après onze mois de présidence et de lutte contre le pouvoir colonial a choisi de se rendre pour ainsi éviter la pire répression contre son peuple. Accusé de trahison par le pouvoir des Pahlavi, il a été pendu le 31 mars 1947.

C’est un héros national pour l’ensemble du peuple Kurde.

L’Émancipation : Quelle influence a aujourd’hui le mouvement “Femme, vie, liberté” auprès des populations kurdes dans l’ensemble du Kurdistan ?

B. P. : Il y a un réel courant de sympathie qui donne espoir, mais aucune action militante concrète politique ne se met en place pour nous soutenir.

Au Kurdistan syrien il y eut même des manifestations de rue brandissant le slogan “Femme, vie, liberté”, mais sans retour ici en Iran, d’un quelconque soutien à notre révolution. Ces manifestations de femmes participent de façon opportuniste à la propagande féministe du parti des travailleurs du Kurdistan syrien, appelé Rojava, mais sans prises de contacts solidaires. Le PKK est d’ailleurs plus en phase avec le régime des Mollahs qu’avec notre opposition qu’il ne soutient pas.

L’Émancipation : Quels soutiens attendez-vous du mouvement ouvrier et syndical français. ?

B. P. : Un soutien politique et organisationnel. Vous avez, en France une vieille tradition démocratique de la vie politique, que nous n’avons pas faute d’espace de liberté. Nous n’avons connu que des régimes répressifs, violents, dictatoriaux. Nous avons tout à apprendre.

Nous entrons dans un deuxième temps de la révolution, celui de la résistance et peut être même de la clandestinité.

Mais un cap est franchi, les Mollahs n’ont plus la moindre crédibilité.

Aujourd’hui, l’heure est à l’unité de tout le peuple iranien, kurdes compris, contre ce pouvoir.

Si la république islamiste est renversée ce sera la fin annoncée de toutes les dictatures au Moyen-Orient. Nous, les Kurdes y avons tout à gagner.

Alors dans un tel contexte, pourrons-nous trouver cohérence et unité pour notre liberté ?

Entretien réalisé par C. Marill,

le 17 02 21

(1) Bahman Panjavi, kurde iranien, 63 ans, réfugié politique depuis 39 ans en France, pacifiste et contre la guerre Iran/Irak, libre penseur par conviction philosophique, fut peshmerga pendant trois ans de 81 à 84, opposé au pouvoir de Khomeiny alors en guerre contre les Kurdes. Il fut en responsabilité d’une imprimerie clandestine. Le délai d’espérance de vie d’un clandestin était de deux ans ! Ce délai à peine passé Bahman repéré et recherché, a fui pour échapper à la pendaison.


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