Syndicats et auto-organisation doivent mieux faire !

Syndicats et auto-organisation doivent mieux faire !

Lutte contre la “réforme” des retraites

La promulgation précipitée de la loi repoussant la retraite à 64 ans avec 43 ans de cotisation pour un taux plein et la publication on ne peut plus rapide des premiers décrets d’application devrait permettre à Macron d’imposer cette contre-réforme dès la rentrée.

L’intersyndicale interprofessionnelle nationale a reconnu cette défaite d’une mobilisation puissante, généralisée et durable. Elle a assuré ne pas tourner la page et vouloir poursuivre la lutte sur tout ce qui n’est pas les retraites, les salaires, les services publics, la protection sociale, les libertés publiques… Pour ce faire elle s’engage à maintenir son unité et ses modes d’action qui n’ont pas permis de gagner : les agendas “sociaux” sous la houlette du gouvernement et du patronat ponctués par des journées d’action espacées. Tellement espacées qu’il n’en est pas de prévue pour l’instant et qu’il est seulement conseillé à la base de se mobiliser sur les salaires.

Pour ce qui est de l’unité intersyndicale, elle n’aura pas résisté au meurtre de Nahel ni à la révolte des quartiers populaires qui s’en est suivie réprimée sauvagement par un pouvoir qui en profite pour booster sa politique d’exclusion et de racisme d’état. Il achève ainsi de légitimer et d’armer sur tous les plans le Rassemblement National qui attend son heure pendant que des milices fascisantes sont de plus en plus actives. Le texte unitaire auquel se sont associées la CGT, la FSU et Solidaires constitue une initiative opportune, même s’il a manqué des débouchés en terme de lutte (depuis il y a l’appel unitaire au 23/09).

Pour veiller à anticiper toutes les conséquences d’une telle situation, éviter qu’elle ne se reproduise et reprendre l’initiative, chaque syndicat et chaque structure auto-organisée doit tirer le bilan de son investissement dans le mouvement et de ses responsabilités dans son échec. Ces organisations doivent d’urgence proposer une stratégie pour reprendre la main dans la lutte sur les retraites et ainsi conforter celle contre les autres attaques et l’extrême droite.

Lors de sa Semaine estivale, Émancipation tendance intersyndicale a travaillé collectivement à un bilan synthétique, tant la chronologie est répétitive.

Une mobilisation syndicale et populaire exceptionnelle

Les grèves rassemblant les secteurs professionnels et les catégories sociales les plus divers ont été d’emblée massives, bien supérieures aux attentes et aux capacités d’agitation d’un syndicalisme certes uni, mais à la syndicalisation faible et en baisse. Les manifestations ont rassemblé des millions de personnes, dans un nombre de villes jamais vu, et avec une richesse incroyable de mots d’ordres et de banderoles. Et ce malgré les provocations et les agressions policières, d’emblée très violentes dans certaines villes, particulièrement vis-à-vis des grèves et blocages des lycéen·nes et des étudiant·es, avec des fermetures d’établissements et de facs ; ce qui a fortement limité la mobilisation des jeunes. L’intersyndicale, regroupant pourtant des syndicats lycéens et étudiants, n’a pas su ou voulu prendre la mesure de cette violence ni l’empêcher, cédant au véto des syndicats policiers. Puisqu’elle annonce vouloir prolonger son unité, la question de la solidarité avec les jeunes mobilisé·es et celle du poids des syndicats de police, doivent être de ses priorités. De même elle doit enfin se doter des moyens pour publier des chiffres de grévistes et de manifestant·es, qui ne soient plus évalués à la louche, laissant au gouvernement et au patronat toute latitude pour publier des chiffres, réputés plus crédibles, qui les arrangeaient.

À tous les niveaux, d’innombrables sections syndicales, intersyndicales et ou interpro, des collectifs retraites ont appelé à des AG et à des actions locales (blocages, reconductions, marches au flambeau, casserolades et traques des ministres et responsables de la macronie…). Les grèves reconductibles et les blocages, formes d’action auxquelles l’intersyndicale a toujours refusé d’appeler explicitement ont souvent été décidées par les AG dès le 19 janvier, parce qu’elles ont une efficacité directe sur la productivité, les bénéfices et les dividendes et donc sur l’arrêt du soutien au pouvoir du patronat et des actionnaires. Mais l’espacement des journées d’action, a jeté un froid et a, ajouté à la proximité des congés d’hiver, rendu difficile la poursuite des grèves. Jusqu’au 7 mars, où l’aspiration forte à un niveau supérieur dans la mobilisation, et aussi le doute croissant quant aux chances de gagner avec les seules journées d’action a relancé les reconductions. Notamment à l’initiative de sections CGT, dans les secteurs de l’énergie, de la chimie, de la verrerie… À l’inverse, des directions syndicales locales ont tout fait pour arrêter des grèves reconductibles (dans le Finistère et à la TIRU 92, à la raffinerie Total Normandie et chez Michelin Clermont). Par contre, les tentatives de coordinations de ces actions, qui auraient permis de leur donner une autre dimension et de contraindre l’intersyndicale à sortir de la routine des journées d’action vouée à l’échec, ont été moins nombreuses que dans d’autres mouvements. À cela plusieurs explications : la faiblesse du nombre de réseaux militants à la base ; l’intersyndicale unie apparaissant comme portant la mobilisation… au moins au début.

Le très large soutien de l’opinion, qui ne s’est jamais démenti, a favorisé la mobilisation ; tout comme la forte solidarité des syndicats étrangers, des réseaux, des internationales syndicales, par des actions dans leurs pays ou par leur présence dans les manifs françaises. Les prises de positions d’instances européennes et de l’ONU en soutien au mouvement lui-même et sur l’usage abusif de la répression ont contribué à fragiliser le pouvoir.

Passage en force d’un pouvoir discrédité

Nombre de responsables syndicaux et politiques ont affirmé que “l’intersyndicale aurait fait de son mieux, mais ne pouvait pas grand-chose contre un Macron déterminé et inflexible”.

En fait, Macron était plus fragile que dans le précédent quinquennat, avec son absence de majorité à l’Assemblée, ses dissensions avec Borne et les surenchères de la droite et de l’extrême droite. Sur les retraites le pouvoir s’est enferré dans beaucoup de fautes tactiques : tâtonnements sur la préparation du projet de loi ; faiblesses et changements des argumentaires pour le justifier dans l’opinion (dénoncés très efficacement dans les réseaux sociaux, grâce à l’engagement de spécialistes et chercheur·euses qui ont démonté au fur et à mesure tous les mensonges du pouvoir) ; passages en force au parlement puis répression pour tenir, un autre aveu de faiblesse politique.

On peut constater que, en raison de ces faiblesses et de la profonde colère populaire face à cette réforme injustifiée, injuste et unanimement rejetée, renforcée à chaque passage en force, Macron a été en difficulté à plusieurs reprises. Le rapport de force lui était très défavorable immédiatement dans la foulée du 19 janvier, puis du 7 mars au 1er mai. Sur les périodes où il était battable le débat n’est pas tranché dans Émancipation. Mais ce qui compte c’est le fait qu’il n’a pas été battu. Il revient au mouvement syndical et auto-organisé de pointer les éléments qui ont permis à Macron de desserrer l’étreinte. Il n’est pas question ici de tirer sur l’ambulance et de fragiliser encore plus l’intersyndicale, mais de se donner collectivement les moyens pour ne pas réitérer de telles erreurs et pour éviter un découragement militant, qui serait catastrophique vues les attaques qui se profilent.

La responsabilité écrasante d’une intersyndicale incontournable

Dès les prémices de cette réforme, l’attentisme bienveillant des directions syndicales a fait le jeu de Macron. Celui-ci avait fait du report de l’âge un axe de sa campagne des présidentielles. Les directions syndicales n’avaient donc qu’une chose à faire : préparer la riposte. Au lieu de cela, juste avant l’élection elles se sont précipitées pour signer un accord de méthode sur la protection sociale complémentaire et de prévoyance. Elles ont ainsi clairement indiqué leur préférence pour la réélection de Macron, après leurs signatures unanimes d’accords sur le télétravail et sur la protection sociale complémentaire, en toute fin d’un quinquennat pourtant destructeur pour les travailleur·euses.

Macron réélu annonce appliquer son programme de report de l’âge de la retraite. Pourtant les directions syndicales ne demandent pas l’abandon de ce projet, se montrent prêtes à en discuter les termes et ne proposent pas la moindre action unitaire. À partir de la rentrée 2022, l’attaque se fait plus précise. Ces directions préfèrent s’investir jusqu’en décembre à corps perdu dans la concurrence acharnée des élections professionnelles (sur laquelle comptait Macron pour les diviser), déployant une énergie militante énorme, avec appels individuels des syndiqué·es pour faire voter sur les bases les plus corporatistes. Énergie qui a fait défaut, ou en tout cas qu’on n’a pas retrouvée, pour convaincre et mobiliser rapidement sur les retraites. Les résultats de ces élections plus défavorables aux syndicats dits de lutte qu’à ceux dits réformistes, ont permis à ces derniers de bénéficier d’encore plus de fonds, de décharges syndicales et de postes dans des instances dites de “dialogue social”. Celles-ci ne sont plus que de chambres d’enregistrement des attaques du pouvoir, vu qu’elles n’offrent plus vraiment de garanties pour la défense des personnels, depuis la loi Macron de modernisation de la Fonction publique et les différentes lois Travail. Dans le meilleur des cas les syndicats peuvent, à l’issue d’innombrables réunions qui achèvent d’occuper l’essentiel du temps disponible des militant·es, s’y voir concéder des aménagements mineurs, à la marge, anticipés en amont par l’administration. Ce système a permis aux directions syndicales, en premier lieu des syndicats réformistes, mais pas seulement… de se prévaloir “d’avancées”, ou “d’ouvertures” (sur les seniors, les femmes ou les préretraites). D’autant plus que ces réunions ont été présentées comme des “négociations”, alors qu’elles n’ont rien à voir avec l’acception syndicaliste de ce terme de “discussions sur la base du rapport de force construit dans une lutte”.

Et de luttes, jusqu’au 19 janvier, soient 10 mois après l’élection de Macron, il n’en a pas été question ! Le gouvernement, a eu tout son temps pour préparer et affiner son offensive. Et malgré les graves attaques testées dans les réunions de concertation, les directions des syndicats ont temporisé au lieu d’informer sur la dangerosité de cette offensive et de préparer le choc inéluctable. Elles “attendaient le texte exact du projet de loi” !

Même après la publication du projet de loi, les directions syndicales ne demandaient pas plus le retrait de cette réforme brutale. Ce n’est qu’après le gigantesque succès du 19 janvier qui a surpris tout le monde, à commencer par l’intersyndicale, que celle-ci a repris la revendication de la base “le retrait de la réforme”. Sans se donner les moyens d’arracher ce retrait.

La CFDT, facteur limitant ou dénominateur commun ?

Contraint par un vote de congrès s’opposant à tout report de l’âge de la retraite, Berger ne pouvait donner libre cours à son “pragmatisme” qui en a fait l’allié des patrons et des pouvoirs. Mais cela ne l’a pas empêché d’abuser de toute la palette des petites phrases et propositions foireuses qui n’ont pas favorisé la mobilisation.

D’autant plus que les autres responsables syndicaux lui ont largement servi la soupe, arguant du fait que c’était l’organisation syndicale la plus “représentative”. Certes, mais d’un cheveu. Pourquoi pas deux porte-paroles, comme ce duo Martinez/Berger qui, d’après les médias, s’accordait si bien. Ou mieux, un de ces mâles et une des rares (à l’époque) femmes de l’intersyndicale.

Les directions syndicales ont laissé penser qu’elles étaient obligées de se laisser cornaquer par Berger, pour sauvegarder cette unité. En fait, une telle unité populaire avait quelque chose de sacralisé, personne n’était en état de la rompre et donc il était possible pour des syndicats de pousser plus à construire la grève reconductible et à organiser des blocages ou au moins à y appeler, et à défaut le faire. La plupart des directions se sont cachées derrière la CFDT pour masquer leur propre recentrage. Les exemples cet alignement sur les organisations les plus réformistes ne manquent pas, des signatures unanimes d’accords inacceptables (Cf. supra), à la demande, en plein milieu de la lutte, de report de la réforme des retraites et de médiation. Cette proposition de Berger, qui a jeté un froid de plus à la base, tant elle était contradictoire avec l’exigence du retrait, n’avait pas été validée collectivement par l’intersyndicale. Pourtant Martinez l’a reprise publiquement à son compte. De même, lorsque Martinez a présenté la possibilité d’une journée d’action le 20 mai, donc largement avant le baroud d’honneur du 18 juin, les déclarations du secrétaire général de la FSU auquel les médias ne donnaient pas souvent la parole, ont été exploitées dans le sens d’un soutien à la CFDT, contre la CGT. Enfin, pour ménager les syndicats de flics, l’intersyndicale n’a jamais dénoncé la répression policière sauvage, dernier rempart de Macron pour imposer sa réforme

À plusieurs reprises, l’intersyndicale a tenté d’enjoliver par des surenchères verbales son unique réponse qui ne pouvait que s’éroder au fil du temps, 15 fois les mêmes grèves saute-mouton avec manifestations décentralisées : par exemple, “le blocage du pays le 7 mars”… avec 24h de grève. Alors que les différents mouvements avaient montré la difficulté des reprises au retour de vacances, l’intersyndicale s’est payée de mots. Gouvernement et médias aux ordres ont fait mine de prendre au sérieux cette fanfaronnade. Et, comme on pouvait s’y attendre la grève, pourtant une des plus importantes sur les retraites a été loin de bloquer le pays, enlevant un peu plus de crédibilité à l’intersyndicale. On a eu aussi “la grève du dialogue social”… qui aurait pu avoir un sens, mais pas pour une durée limitée avec échéance annoncée le 1er mai. Ce n’était qu’un délai de “décence” imaginé par Berger en guise de deuil pour la mobilisation. Et toutes les directions syndicales se sont précipitées après le 1er mai pour reprendre le dialogue social, avec Borne et aussi le MEDEF, offrant à Macron une conclusion inespérée de ses “100 jours” et des perspectives d’agression “négociées” renouvelées.

Pour Émancipation tendance intersyndicale, il s’agit désormais d’œuvrer à la reconstruction du rapport de forces, sur la base d’une orientation syndicale alternative, chance à saisir pour que le syndicalisme ne reperde pas les nouveaux·elles syndiqué·es gagné·es à la faveur du mouvement. Et aussi sur des bases renouvelées d’auto-organisation : à partir du constat que l’intersyndicale la plus unitaire possible au niveau national est une condition nécessaire pour gagner, mais pas suffisante ; le maintien et le développement les réseaux militants locaux sous des formes décidées collectivement, et la poursuite de la réflexion sur les meilleures formes de coordinations démocratiques sont indispensables pour contrer efficacement les prochaines attaques… et pour garder le moral. C’est tout l’objet de notre texte de rentrée.

Émancipation Tendance intersyndicale

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