Six mois de lutte, et après ?

Six mois de lutte, et après ?

Drôle d’impression à la lecture du numéro de juin. Six mois de mouvement social intense contre la retraite à 64 ans, et puis on passe à autre chose, comme s’il ne fallait pas évoquer l’échec face au pouvoir de Macron.

Certes, le pays a démontré sa large capacité de mobilisation (salarié·es mais aussi jeunes et retraité·es), dans la durée, et parfois son inventivité (retraites aux flambeaux, manifs de nuit) dans la contestation. Macron et son gouvernement ont été mis en minorité, les critiques ont fusé de toutes parts, Europe, ONU… il n’en a cure, ce groupuscule qui tient les rênes, a le dernier mot. Malgré l’unité syndicale sur un mot d’ordre clair et précis, la longévité du mouvement et des formes qui débordaient largement les manifs classiques. Le langage de fermeté des organisations syndicales les plus modérées face à Macron-Borne était inédit, et l’écueil des manifestations du samedi, qui, en 2010 délégitimaient l’arme de la grève, a été évité. De plus l’Assemblée n’est plus tenue en laisse comme la précédente, elle s’est montrée largement hostile à ce passage en force. En outre, la précédente tentative d’imposer la retraite à points avait tourné court, après une forte mobilisation et l’irruption de la pandémie.

Alors, qu’a-t-il manqué ?

La stratégie des temps forts avait été couronnée de succès en 1995 et en 2006, mais elle s’appuyait, en 1995, sur la grève puissante des cheminot·es, et en 2006, sur le combat massif et résolu de la jeunesse contre le CPE. En 2003, ce fut moins probant, mais il y a eu un petit recul sur la décentralisation. Là, Macron et sa dame de pierre, bien nommée Borne, qui avait déjà eu la peau des cheminot·es précédemment, n’ont rien lâché. Un mouvement aussi unanime, et un tel fiasco ! Stratégiquement, une manif parisienne gigantesque aurait peut-être été souhaitable pour montrer la force d’un mouvement énorme mais très dispersé. Les gilets ciblaient, eux, les lieux de pouvoir. Les organisations syndicales restent dans les clous, et évitent parfois les symboles de l’exécutif. À Marseille, après une énorme manif dans le centre-ville en janvier (qui laissait envisager une suite plus favorable !), les parcours ont systématiquement évité la préfecture. La question de la grève générale, reconductible, illimitée… jusqu’à satisfaction de la revendication est évidemment posée, mais le dernier exemple est fort lointain, il date de 1968. En 1968, on pouvait encore se souvenir des grèves de 1936 (une génération d’écart !), la France était alors industrielle et le syndicalisme avait un autre poids. Aujourd’hui, il faut le reconnaître, les syndicats dans leur ensemble ne parviennent plus à mettre la France à l’arrêt, même une seule journée. Demeurent des bastions CGT influents, mais insuffisants face à la capacité de répression du pouvoir qui n’hésite pas à remettre en cause le droit de grève à coups de réquisitions abusives, comme en 2010. Les syndicats CFDT, CGC, ou de façon plus anecdotique CFTC, même s’ils ont des électrices et des électeurs, quelques adhérent·es, des sympathisant·es, occupés depuis des décennies à accompagner les mesures antisociales à la sauce néolibérale en négociant des miettes, ne sont pas à même d’encadrer des grèves, de susciter des actions chez des salarié·es atomisé·es, incrédules, désabusé·es. Les salarié·es ne croient pas en la possibilité de victoire. D’ailleurs l’implantation syndicale reste trop clairsemée, quelles que soient les organisations, chez SUD notamment. Même la FSU, assez représentative dans l’Éducation nationale, a peiné à mobiliser des grévistes dans la durée. La relative faiblesse du syndicalisme rend essentielle la mise en place d’AG de luttes, de coordination, de collectifs pour dynamiser les actions et les renouveler, amplifier le mouvement qui bute aussi, évidemment, sur l’absence d’alternative politique crédible et sur un certain individualisme, accentué probablement par le recours au télétravail, le nouveau management des services publics, l’ubérisation de la société…

Des illusions démocratiques !

Sans doute l’intersyndicale, consciente de ses limites, s’est-elle bercée de l’illusion démocratique. Un représentant de SUD croyait les planètes alignées grâce à la convergence entre les syndicats et une majorité de député·es hostiles à la réforme et plus encore à la brutalité de la méthode : débats écourtés ou carrément interdits, référendum refusé, absence totale de négociation avec les organisations syndicales. Illusions vite perdues avec la complicité d’un Conseil Constitutionnel dont les membres ont souvent été nommés par le maître de l’Élysée… sans pour autant être d’éminents juristes. On apprend ainsi les mille et une astuces pour que le Parlement soit privé de son droit de vote… sauf s’il est d’accord avec le gouvernement ! Quant au Référendum (RIP !) c’est une blague ou une farce ubuesque, les conditions s’avèrent telles qu’il n’existera jamais sous la Ve République. L’obstination de Macron s’avère totalement illégitime, mais elle est “légale”, et tout son fonctionnement est à front renversé : il interdit tout ce qui est légitime en démocratie, manifestations, associations et criminalise l’opposition. Lui seul incarne la loi, et les citoyen·nes (la foule selon Macron) se mettent parfois en danger s’ils ou elles transgressent les décisions du chef d’État, les centaines de blessé·es dans les manifs, qu’elles soient syndicales, écologistes, politiques, en témoignent. Pour se conformer aux désirs du souverain, les organisations doivent impérativement s’enfermer dans un rituel qui ne le dérange pas. Chaque fois qu’on sort des clous (les cartons rouges au stade de France, les casserolades, les manifs nocturnes…) les interdits pleuvent, même si le ridicule n’a jamais tué personne. Il faut cependant éloigner les bruits de casseroles des oreilles de Jupiter. Il arrive que ces interdictions arbitraires et abusives soient levées… mais la crainte de débordements et de violence fait souvent reculer les organisateurs, organisatrices et les manifestant·es. Il importe de ne pas céder à la pression, aux intimidations. Je me suis retrouvée quasiment seule sur la place de la mairie de la cité phocéenne, à l’heure du concert de casseroles devant saluer le discours de Macron. Rassemblement interdit ! Nous avions bonne mine avec nos instruments (trois ou quatre personnes s’étaient regroupées) En revanche on pouvait se réunir au Vieux Port (et un cortège militant et sonore a fini… devant la mairie). Ouf ! Mais tous les moyens sont bons pour empêcher les mouvements, Sainte-Soline le démontre de façon dramatique. Quelle question plus vitale, plus fondamentale, que celle du partage de l’eau ? Les manifestant·es risquent la mort en la posant.

La nécessaire résistance quotidienne

Seule une résistance quotidienne, acharnée, peut faire reculer Macron : Notre-Dame-des-Landes en atteste. Le mouvement syndical ne pouvait s’appuyer sur une opposition politique certes large, mais très divisée et sans perspective pour gagner. Des manifs hebdomadaires, des grèves dures sectorisées, des arrêts de travail intermittents et éparpillés, la sympathie de l’opinion publique ne suffisent pas. Surtout avec un pouvoir qui montre les crocs avec d’autant plus de férocité qu’il est minoritaire, et s’en prend même à la LDH. (Certes il y a pire, notamment chez le grand ami d’Arabie Saoudite, le prince MBS pour qui Macron déroule le tapis rouge !) Notre défaite est réelle, espérons-la provisoire car la force du mouvement laisse espérer une reprise, les deux quinquennats de Macron se déroulent dans un climat de tension et de colère sociale qui ne s’apaise nullement et a pris des chemins extrêmement divers. Mais les syndicats seront définitivement décrédibilisés s’ils renouent le dialogue avec un pouvoir qui les humilie et les piétine. Face à une telle violence sociale, il n’y a plus que la lutte.

Marie-Noëlle Hopital

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