La leçon des émeutes

La leçon des émeutes

Si le gouvernement et une bonne partie de la société sont encore sous le coup des émeutes de fin juin et début juillet 2023, c’est qu’ils ont compris, comme Victor Hugo dans 1793(1) que l’émeute, tout en s’en distinguant par sa soudaineté apparente et son désordre est parente de la révolution – mais contrairement à celle-ci, sans ligne directrice, sans espoir, sans idéal – précis, au moins.

Vengeance, revanche, émeutes du pouvoir d’achat”, sont les qualifications récurrentes de ce mouvement sous la plume des sociologues et des écrivains (dont l’Indien Aravind Adya).

C’est ce que souligne la presse abondante de cette période : ces émeutes sont une revanche sur la déréliction des “quartiers” et une vengeance contre les discriminations qui d’une façon criminelle pour la 18e fois en deux ans ont coûté la vie à un de leurs jeunes habitants.

Racisme, privation de tout transport public commode (banlieue signifie étymologiquement lieu de la “mise au ban”) (2), misère croissante dont JF Laé (3) énumère le détail navrant : accumulation de dettes, expulsions, chômage entraînant le dérive familiale (70 % de familles monoparentales) et la délinquance adolescente etc., etc.

Ces émeutes constituent la riposte à un abandon social et politique, et à une ségrégation raciale ouverte – celle-ci en fait latente dans une bonne part de la population – exaspérée par la concentration urbaine dans cette zone de non-droit.

Des adultes issu·es de ces quartiers, devenu·es édiles, écrivain·es ou artistes en témoignent : être maghrébin·e ou noir·e interdit de mener la vie des autres, et vous désigne comme la cible évidente d’un rejet, et d’une répression sous toutes formes, la plupart du temps injustifiée. Je me souviens d’un élève du lycée technique du Val Fourré me disant les larmes aux yeux qu’avec son copain lors des allées et venues entre chez eux et la classe, ils étaient contrôlés au moins trois ou quatre fois par jour.

Que ces jeunes gens disent haïr la police, une haine mortelle répondant au harcèlement, aux vulgarités, aux brutalités et aux meurtres autorisés de celle-ci, n’est donc pas surprenant.

Depuis la déclaration de Sarkozy aux policiers “vous n’êtes pas des travailleurs sociaux, vous n’avez pas à organiser de tournois sportifs mais réprimer la délinquance” les choses n’ont fait que s’aggraver : l’écho de ce dramatique correctif se lit dans l’intitulé macronien : “Police de la Sécurité du territoire”.

Cette fonction répressive, socle d’une formation en tous points insuffisante, supprimant celle d’accompagnement si nécessaire, se renforce désormais de la légalisation du droit des policiers à faire usage de leurs armes au nom d’une légitime défense… préventive, responsable de ces morts en cascade.

L’État, à travers sa police et les consignes qu’il lui donne, comme à travers son absence de réponse durable et profonde à la déréliction sociale est donc, en amont, comme l’ont dit plusieurs maires des communes touchées, dont ceux de Grigny et Nanterre, le principal responsable de la situation et l’incendie et la destruction des bâtiments publics en est la sinistre preuve. Autant de symboles d’une société inégale et sélective, cautionnée, dirigée, défendue par nos responsables.

Quant aux pillages, de gravité variable, en masse ou dérisoires tel celui de ce jeune homme prenant au passage une poignée de cerises, parce qu’il n’a pas mangé, dit-il, de fruits depuis un an, ils sont une compensation de ceux et celles qu’on a exclu·es du système non seulement comme citoyen·nes mais comme acheteur·euses.

Là nous touchons le fond du problème : qui sont ceux et celles qui mettent toutes leurs forces et leurs pouvoirs à convaincre chacun·e d’entre nous qu’il n’y a pas d’autre perspective que le marché et rien d’autre à attendre et à entreprendre que s’enrichir et se procurer toujours davantage de produits, si inutiles voire nuisibles soient-ils ? (4)

Bruit et fureur (ne) sont (que) provisoirement retombés. Ils appellent d’autres réponses que la répression et la déploration morale de tant de violences : d’autres plans économiques dont le projet semble pour l’instant abandonné (5) et dont certains ont permis une certaine rénovation matérielle – le plan Borloo plus consistant ayant été rejeté par Macron en 2018.

Le seul remède à long terme est non seulement une refonte globale de la distribution des richesses permettant à tou·tes une vie décente mais la résurgence de raisons vitales d’espérer, et de construire un avenir digne de ce nom.

Marie-Claire Calmus

(1) Voir la Chronique du volume 4 des Chroniques de la Flèche d’Or : Révolte, Émeute, Révolution.

(2) Comme le dit le chanteur Magyd Cherfi, “il faut leur donner des signaux pour leur prouver qu’ils sont chez eux en France”.

(3) Bilan de la pauvreté de Jean-François Laé dans Le Monde du mercredi 5 juillet 2023.

(4) Le 14 juillet 2023, le PDG de Total a été décoré de la Légion d’honneur par le président…

(5) Quatre PNRU dont le dernier en suspens. Les fonds de 12 milliards et non de 40 comme le prétend l’extrême droite ont été versés à 70 % par l’Action Logement (fruit du 1 % et de taxations diverses).

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