Nahel : Que des Bad-Cops !

Nahel : Que des Bad-Cops !

Tours, Indre-et-Loire, métropole de moyenne envergure, 197 000 habitant·es, municipalité EELV, n’a pas échappé à la violence ces trois derniers jours. Couvre-feu pour les mineurs jusqu’à dimanche soir, 13 interpellations dont trois mineurs.

Après avoir passé une partie de la nuit en “son et lumière” bien différent de ceux aseptisé de nos châteaux, j’ai décidé ce vendredi matin d’aller faire un tour dans “les quartiers”, que je connais encore un peu pour y avoir vécu et enseigné une bonne partie de ma carrière.

Ce jeudi soir, la cible fut une place au nom symbolique, place de la Liberté, stratégique dans les transports urbains en centre-ville : ligne de tram, nombreuses lignes de bus, commerces, bars… Ce qui m’a particulièrement motivée c’est que contrairement aux années 2005, l’objectif a changé. Dans le passé les jeunes restaient au pied de leurs immeubles, brûlant les véhicules sur les parkings, enfermés dans leurs ghettos. Là, ils se sont déplacés de près d’un kilomètre, les objectifs ne sont plus les mêmes, le souci de visibilité semble être différent. Les cibles : mobilier urbain, bus, voitures, vitres d’un tram entier et aussi le supermarché LIDL. C’est surtout ça qui m’a interpellée. Plus les commentaires dans le parc ce matin lors de la promenade du chien : “Oui, les voyous, ils disaient en pillant le supermarché : « prends du riz, prends du riz », et ils sont repartis avec des caddies pleins de nourriture. On est bien loin du décès du jeune. Ils s’en mettent plein les poches, c’est tout” (Mme X co-propriétaire dans la résidence où j’habite, résidence secondaire en Bretagne, emploi à La Défense à Paris : petite bourgeoisie, bourgeoisie…)

La coupe est pleine

Alors oui, ma bonne dame. Mais on ne peut que constater que lorsque la population prend du riz et de la nourriture, c’est qu’une partie d’entre elle, en extrême précarité ne se nourrit plus correctement et que les caddies pour eux et elles sont pratiquement vides depuis des mois. Le lien avec la mort du jeune Nahel est pourtant facile à faire. Dans ces quartiers, la coupe est pleine, elle déborde, elle ruisselle. Ces jeunes, ce sont les enfants du prolétariat, voire du sous-prolétariat urbain, que l’on dit aujourd’hui pudiquement “précarisés”. Ils vivent à la marge de la consommation : pas de boulot, pas de loisirs, pas de plaisirs, pas de pognon. Dans le contexte social actuel, après des mois de grèves et manifestations, des millions de travailleur·euses et retraité·es à battre le pavé, en plus, l’assassinat de ce jeune par un policier, c’est bien évidemment le détonateur de la colère sociale. Les jeunes ont cela de particulier : ils/elles réagissent très vite et la conscience de classe, même non exprimée en tant que telle, s’exprime naturellement.

Pour le fun et être un peu plus politique : “quid” de la responsabilité des directions syndicales, qui auraient pu, qui auraient dû, à un moment où les conditions y étaient, appeler à la grève générale contre cette foutue réforme, pour virer ce gouvernement, ce président, et tous ses bouffons qui se pavanent dans les oripeaux moribonds d’une Ve République mortifère pour notre classe.

Quelle parole des jeunes ?

Pour ce qui est de la parole des jeunes, c’est difficile. À 13h quand je suis arrivée sur les lieux, des carcasses de divers véhicules étaient toujours là et l’odeur du feu encore prégnante. Un calme particulier entre les immeubles, peu de personnes à qui parler. Deux ados, K. et H., 14 ans :

– C’est moche, ça va coûter cher tout ça à reconstruire, et puis les bornes de paiement du tram c’est les gens d’ici qui vont devoir payer. Mais c’est des grands qui font ça, ils sont venus d’ailleurs avec des feux d’artifice et des mortiers, pour les aider.

– Des grands, genre quel âge ?

– Bah je sais pas, 20 ans.”

Un peu plus loin, deux femmes, l’une 35-40 ans, l’autre 18 ans sa fille : “Nous on est révoltées des deux côtés. La mort du jeune c’est inacceptable, mais la récupération et le détournement par les violences, on n’est pas d’accord non plus”.

Enfin, trois jeunes adultes, 20 ans à peu près. Les traits tirés, visages fermés. Je me présente comme correspondante d’une revue syndicale voulant recueillir des témoignages sur les événements de la nuit. Silence, regards perçants, vifs mais durs. J’ajoute que j’ai un avis sur la question et quelques commentaires destinés à les mettre en confiance. Toujours silence, posture tendue. Cet assourdissant silence est enfin rompu : “Non, on n’a rien à dire. Merci madame, au revoir”.

Fin de l’histoire. Je n’en saurai pas plus. Ce “merci madame” est réconfortant quelque part. Ma simple venue ne leur a pas été insensible.

Les choses ont beaucoup changé depuis les années 2000. Quand on allait dans les quartiers, avec un cadre local de SOS Racisme. À cette époque, les jeunes parlaient, ils avaient des choses à dire et même maladroitement exprimée, leur parole était audible. Aujourd’hui, rien, nada. On ne discute pas, on fait. La crainte de savoir par qui et où leur parole va être relayée est sans nul doute également légitime. Les esprits sont révoltés, le seul langage c’est cette violence exprimée contre les symboles d’un pouvoir et d’une société haïe. Le temps n’est plus à discuter, à parler : ils font, ils agissent.

Au nord de Tours, une bibliothèque mais aussi un bureau de tabac, le super-U…

À Saint-Pierre-des-Corps, petite commune ouvrière de 15 000 habitant·es où le Parti communiste a perdu la mairie lors des dernières élections en 2020, ce sont la mairie, la voiture du maire, son cabinet médical incendiés et sa personne quelque peu secouée. Cet édile, sans étiquette, a en effet depuis trois ans augmenté drastiquement les impôts locaux et le prix de la restauration scolaire, supprimant la gratuité à une majorité de familles. Il est lui aussi détesté. Les symboles de la République, de la culture, d’une consommation dont ils sont exclus, voilà les objectifs de nos “voyous”.

Mettre du sens

Moi, j’aurais envie de dire : “saine révolte, et on ne fera pas d’omelette sans casser des œufs”. Car il faudra bien finir par les chasser, ce gouvernement et cette République pour le moins anti-démocratique et bonapartiste. Ils n’offrent aucun espoir pour la jeunesse. Aucune perspective. No man’s land. Nos jeunes n’en peuvent plus, n’en veulent plus, pas plus que du SNU que veut imposer Macron (et je ne développerai pas le projet de jumelage de certaines classes avec l’armée). Pas plus que nous ne pouvons accepter les milliards votés pour la Loi de Programmation Militaire : un budget d’économie de guerre ! Alors que les milliards pour les services publics et les infrastructures sociales manquent cruellement.

Il faut mettre du sens sur les événements de ces derniers jours. Ce ne sont pas que des actes gratuits de bandes révoltées par le crime crapuleux d’un flic. Face à la violence d’État, il y a la violence légitime de cette génération que les gouvernements successifs laissent dépérir dans des ghettos urbains ou personne ne souhaite habiter.

Par ailleurs et hélas, ces pratiques policières criminelles ne sont pas nouvelles. Pour les plus anciens d’entre nous, le chanteur Renaud l’évoquait déjà dans les années 80 avec sa chanson Hexagone : “[…] POUR FAIRE RÉGNER L’ORDRE PUBLIC, ILS assassinent IMPUNÉMENT !”.

Nathalie L.,

Tours le 1er juillet 2023

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