Émancipation


Tendance intersyndicale

Des lectures féministes

Tenir sa langue

Agir sur le langage pour agir sur le monde : tel est le programme des mouvements sociaux qui s’engagent dans la lutte pour la signification. Le féminisme a de longue date pris à bras le corps cette question de la langue, et pour cause : le langage est un des lieux majeurs de notre catégorisation du monde. Il s’agit de contester la mainmise du masculin sur l’humanité, de pouvoir s’énoncer, de participer au sens du monde à part pleine et entière. C’est dans cette urgence politique et sémantique à exister en tant que sujet que des féministes se sont mises à “bousculer la grammaire”. Ce livre vise à repolitiser des pratiques qui n’ont pas vocation à devenir de nouvelles normes, mais à alimenter sans cesse un tumulte dans la langue qui est aussi un acte de résistance aux pouvoirs.

Tenir sa langue le langage, lieu de lutte féministe, Julie Abbou, éditions Les Pérégrines, 2022, 280 p., 19 €.

L’histoire traverse nos peaux douces

Christine Bard se fait l’historienne des trajectoires familiales et de son vécu personnel dans L’histoire traverse nos peaux douces, un cycle qui comprendra quatre volumes et qui s’ouvre avec ce premier livre, Jack. Elle y brosse un portrait complexe et tout en nuances de son père – fils d’ouvrier du Nord, instituteur et poète, secret, pudique, intrigant. L’histoire qui traverse les peaux douces est celle de la lutte des classes, des sexes, et des bouleversements apportés par les guerres, celle d’Algérie et les deux grands conflits “mondiaux”. Ces luttes ont affecté les vies, suscité des résistances, des compromis, des échappées. Entre histoire et autobiographie, Christine Bard explore, avec tendresse, les traces matérielles et affectives que le passé lègue au présent.

L’histoire traverse nos peaux douces – Livre 1 Jack, Christine Bard, éditions Ixe, 2022, 180 p., 17 €.

Femmes et révoltes d’esclaves

Si les histoires d’esclaves sont connues, le rôle qu’y ont joué les femmes a souvent été invisibilisé. Rebecca Hall, elle-même petite-fille d’esclave, juriste et historienne, dévoile ici la trajectoire oubliée de quelques-unes de ces femmes à la tête de révoltes à bord des bateaux négriers et aussi dans les plantations au XVIIIe siècle. Dans cette bande dessinée, Hugo Martinez, par son dessin en noir et blanc, exprime la violence subie, le désespoir mais aussi le désir de rébellion des esclaves. L’autrice a étudié dans les archives d’anciens dossiers judiciaires, des journaux de bord de capitaines, et des correspondances. Entre ces histoires sont intercalés sa trajectoire personnelle et le récit des difficultés qu’elle a rencontrées dans son enquête. Ces liens entre le passé et le présent permettent de mieux comprendre à quel point tout est lié dans l’Amérique d’aujourd’hui.

Wake l’histoire cachée des femmes meneuses de révoltes d’esclaves, Rebecca Hall, illustré par Hugo Martinez, traduit par Sika Fakambi, éditions Cambourakis, 2022, 208 p., 22 €.

Intersectionnalité

Ce livre synthétique et vivant, riche d’une variété d’exemples, propose une introduction accessible à l’histoire et aux usages du concept. Instrument d’analyse des situations de tort, l’approche intersectionnelle ambitionne de développer une perception fine de la pluralité et de l’imbrication des oppressions. C’est aussi une praxis critique, se donnant la justice sociale pour horizon : quelle que soit l’échelle à laquelle elle se place, elle vise à transformer le monde. En ce sens, elle est partie prenante des luttes sociales actuelles et passées, et l’héritière des féministes noires et chicanas qui, dans les années 1960, cherchaient à dépasser les points aveugles du féminisme comme de l’antiracisme. Si l’intersectionnalité s’attache aux identités, individuelles et collectives, c’est pour œuvrer à l’émancipation de toutes et tous.

Intersectionnalité Une introduction, Sirma Bilge et Patricia Hill Collins, traduit par Julie Maistre, éditions Amsterdam, janvier 2023, 288 p., 24 €.

Joëlle Lavoute


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