Émancipation


Tendance intersyndicale

Les transformations

L’analyse critique qui a suivi la présentation de Pierrick Descottes met en lumière l’apport de l’enseignant·e dans le cadre de la méthode naturelle d’apprentissage et aborde les problèmes que posent ses interventions.

La question des transformations – faut-il ou non toucher aux productions des enfants ? – ne fait pas consensus à l’ICEM. Pour nous, au Laboratoire de Recherche Coopérative, la réponse est résolument positive, pour plusieurs raisons qui sont toutes contenues dans l’idée d’œuvre ou de chef d’œuvre de Freinet.

1. Un chef d’œuvre est rarement le fruit d’un premier jet, pas plus chez les enfants que chez les adultes.

2. Le chef d’œuvre vise la mobilisation maximale de l’enfant engagé sur un projet personnel, sa valorisation, ce qui facilite l’entrée dans les savoirs, savoir faire, savoir être, les compétences.

3. Il mobilise aussi la classe dans un travail coopératif qui implique un autre regard que celui de l’auteur·e, un processus de distanciation et donc de problématisation.

L’action, la part de l’enseignant·e, s’inscrit dans une double contrainte :

Un : que ces transformations respectent les processus de tâtonnement des enfants ainsi que leur projet de départ, sans les en déposséder, ce qui implique surtout une écoute toute fine de la part de l’enseignant·e pour identifier ce projet, ce désir.

Seconde contrainte : que ces transformations respectent les normes de pensée et d’action de la discipline dans laquelle on travaille, afin que les enfants puissent y acquérir une véritable culture.

La contrainte éthique

– Concrètement, que voit-on dans cette séance ?

Pour ce qui concerne la première contrainte, comme on le voit, Pierrick demande sans cesse l’avis de Mangudi, c’est toujours elle qui accepte ou non et qui choisit parmi les diverses propositions.

C’est une posture qui relève de l’éthique : on respecte la personne de l’enfant, son désir véritable via sa production.

Mais la posture relève aussi d’une méthode efficace : il s’agit de faire en sorte que jusqu’au bout l’enfant se sente propriétaire de son texte afin que perdure le plus possible son investissement dans ce travail, ainsi que celui des autres enfants, par projection ou anticipation de ce qui va se passer plus tard sur leurs propre textes.

La contrainte des disciplines de référence

– L’autre contrainte, le respect des normes de la discipline de référence, ici la littérature, implique que l’enseignant.e les connaisse, bien sûr et qu’il/elle sache les mobiliser.

Pierrick est ici à son affaire : conscient du fait qu’un texte littéraire possède une organisation rigoureuse, il demande aux enfants de procéder par étape et de ne pas se disperser. D’abord, on va travailler sur l’entrée dans le texte dont le but est d’accrocher le lecteur, la lectrice : ce sera la problématique de travail.

Sa part à lui, sa responsabilité, et non des moindres, a été d’abord d’avoir l’intuition que la classe était prête à entrer dans cette problématique difficile.

Il les incite donc sans cesse à creuser, à fouiller : les enfants vont faire de nombreuses propositions.

Pour ce faire, Il tente de casser les stéréotypes “Il était une fois” ou l’indigence d’une fin comme “OK alors à demain” ?

Ce travail s’inscrit dans la durée, on le voit car il n’a même pas besoin de les rendre attentif·ves à cela, c’est une petite fille qui pointe cette fragilité d’écriture. Ils/elles ont l’habitude : il faut du temps pour écrire.

Sans jugement de sa part, il accueille les propositions, avec lui, on réécrit, on rature, on cherche, on recommence, on réfléchit sur le sens de la ponctuation, sur les effets différents dus à l’emploi d’un pronom personnel : première ou troisième personne, sur la façon de ménager le suspense en ne disant pas tout tout de suite par ex.

Tout ce tâtonnement auquel se livre la classe coopérative représente réellement le travail de l’écrivain·e. Et d’ailleurs Pierrick le souligne avec un enthousiasme qu’il espère communiquer à ses élèves : c’est comme ça que travaillent les écrivain·es !

Les pôles de l’apport de l’enseignant·e

La double contrainte liée aux transformations concerne donc plusieurs pôles qui caractérisent la part du maître ou de la maîtresse dans tout enseignement  :

– le pôle éthique ou axiologique (les valeurs) ;

– le pôle épistémique qui concerne la culture de l’enseignant·e en la matière ;

– le pôle technique ou méthodologique, qui relève d’un ensemble de démarches ; gestes, outils institutions de la pédagogie Freinet. Philippe Meirieu l’appellerait le pôle “praxéologique”.

— Enfin, englobant le tout, en surplomb, le pôle politique car :

1. en sacralisant le texte brut, sans y toucher, nous condamnerions les enfants à rester sur des productions insatisfaisantes, peu abouties au plan littéraire et donc nous les empêcherions de progresser, nous les maintiendrions dans leurs déterminismes sociaux.

2. ce n’est pas seulement à une transformation du texte qu’on a affaire ici, mais également à une transformation du rapport au savoir. En effet : le savoir ne tombe pas d’en haut, il est produit par la classe coopérative, toutes et tous ensemble et on le voit bien, dans la jubilation. Il n’est plus fait de soumission aveugle mais de recherche de découverte.

À l’école, ce savoir symbolise l’autorité. C’est bien d’un autre rapport à l’autorité qu’il est question. On est donc dans un processus d’émancipation, entreprise éminemment politique.

On est là au cœur de la pédagogie Freinet. C’est cela, cet ensemble de transformations : des productions des enfants, du rapport au savoir et partant, à l’autorité pour parvenir, in fine à une transformation de l’enfant lui-même, qui fait l’originalité, la spécificité et la puissance de la pédagogie Freinet.

Laboratoire de Recherche Coopérative de l’ICEM-Pédagogie Freinet


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