Émancipation


Tendance intersyndicale

Pour un numérique responsable

La première partie de l’intervention de Vincent Courboulay porte sur un état des lieux de l’utilisation de l’outil numérique aujourd’hui.

On peut marquer le début de l’expansion du numérique aux alentours des années 1990 avec l’apparition d’outils numériques qui ont facilité l’accès au réseau informatique mondial (Internet) et du World Wide Web, ce qui a permis, entre autres, l’échange de courriels, le transfert de fichiers ou la téléphonie.

Cette expansion a fait passer d’environ un million d’ordinateurs connectés en 1992 à des dizaines de milliards en 2023, lorsqu’on inclut tous les objets de la vie quotidienne tels que smartphone, voiture, montre ou autre compteur électrique… Ainsi, on compte aujourd’hui 230 milliards de mels échangés par jour au niveau mondial.

Un coût environnemental et social énorme

Cette expansion est le nouvel avatar du capitalisme dont les maîtres sont les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) et autres BATHX (Baidu, Alibaba, Tencent, Huawei ou Xiaomi) qui imposent désormais leur modèle économique au niveau planétaire en suscitant toujours davantage de besoins auprès des entreprises et des individus.

Ces nouvelles pratiques ont un coût humain et environnemental déjà catastrophique, mais qui ne peut que s’aggraver dès lors que le recours aux outils numériques, aux logiciels de toutes sortes, aux réseaux (5G+ et bientôt 6G) et à l’Intelligence Artificielle nous a rendu·es plus ou moins totalement dépendant·es.

Pour mesurer un tel impact, il faut considérer l’épuisement des ressources en matières premières (provenant le plus souvent de pays dont les habitante·s sont généralement privée·s d’accès au numérique), la surconsommation de l’eau (Taiwan, principal producteur de composants électroniques pour les entreprises informatiques doit désormais importer de l’eau pour les besoins domestiques et l’agriculture), les émissions de gaz à effet de serre (GES) provenant de l’utilisation d’énergies fossiles pour la fabrication des appareils, du transport ou du stockage des données (par exemple, le pic de consommation électrique des data centers représente plus que la consommation de l’Allemagne – 650 terawatts-heures) et une pollution généralisée (la production mondiale de déchets électroniques (D3e) représente 50 millions de tonnes par an dont 80% sont envoyés illégalement dans les pays en voie de développement, ainsi Agbogbloshie, décharge de 10 km² située au Ghana, est désormais le lieu le plus pollué de la terre devant Tchernobyl).

L’impact humain et social n’est pas moindre quand on considère les conditions de travail dans les usines des pays, quels qu’ils soient, qui fabriquent ces produits, les déplacements de populations dues aux exploitations minières, les maladies provoquées par les diverses pollutions, l’uberisation de la main d’oeuvre dans les pays riches, la manipulation de l’information ou le remplacement des salariée·s par de l’IA …

La deuxième partie de l’intervention porte sur l’apparente impossibilité de concilier la transition numérique et la soutenabilité humaine et environnementale.

Quelles alternatives ?

Après un tel état des lieux, la seule réponse attendue est qu’il faudrait mettre un terme à cette spirale infernale. La réponse de Vincent sera plus nuancée ! Selon lui, il y a une voie pour un numérique responsable. Elle passe par un certain nombre de démarches visant à améliorer l’empreinte économique, sociale et environnementale du numérique d’une part et celle d’autres processus grâce au numérique, d’autre part.

Selon lui, il faut tout d’abord définir le cadre d’un numérique éthique et responsable, par exemple par des usages raisonnés des données et des services, par le respect des lois et règlements en vigueur, par la réduction de la fracture numérique, par la diversité du recrutement et l’égalité femme/homme… Mais au-delà de cette déclaration d’intention, cette démarche vers un numérique responsable est aussi individuelle, c’est d’ailleurs le reproche qui sera adressé à Vincent par des camarades pour qui seule la riposte par l’action collective est de nature à contrecarrer les menaces du capitalisme numérique.

Toujours selon lui, il en va du numérique comme d’autres secteurs économiques tels que le transport, l’habillement ou l’alimentation, à savoir une certaine forme de sobriété reposant sur le triptyque : éviter-réduire-refuser.

– refus d’acheter (88 % des personnes changent leur téléphone portable alors qu’il fonctionne encore) ;

– réduction et donc adaptation du matériel aux besoins véritables ;

– réparation des appareils (loi sur la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire 10 février 2020) ;

– réutilisation (principe de l’achat numérique d’occasion) ;

– recyclage (instauration d’un cadre légal en matière d’obsolescence logicielle et réforme de la responsabilité élargie du producteur).

À l’issue de cette présentation très éclairante sur la question du numérique, l’incertitude est grande sur les moyens que nous aurions au niveau syndical pour en faire un axe de lutte efficace lorsque les perspectives restent toujours des vœux pieux :

– encourager les initiatives pour un numérique plus responsable ;

– estimer l’empreinte, la performance environnementale et la maturité des entreprises ou des institutions ;

– partager les bonnes pratiques pour chaque secteur d’activité.

L’objectif de Vincent était de partager avec nous son expertise et de ce point de vue, il est atteint. On peut comprendre la frustration d’un certain nombre de camarades qui s’attendaient, dans le cadre d’un stage syndical à un discours plus offensif et plus politique, et peut-être des solutions plus concrètes, mais telle n’était pas la démarche annoncée par Vincent dans son introduction. Il admettait bien volontiers dans sa conclusion qu’il ne détenait aucune solution miracle, mais qu’il préférait des petites actions concrètes à un hypothétique renversement de tendance. Il nous appartient de nous réapproprier un certain nombre des données collectées au cours de ce stage pour alimenter notre réflexion et les utiliser dans un cadre syndical plus élargi.

Claude Braud


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