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Pour une médecine militante et féministe

Le 28 Février, à Nantes, cinq médecins sont convoqué·es au tribunal pour refus de paiement de cotisation à l’Ordre des Médecins. Dans l’appel à soutien qu’iels ont rédigé, iels expliquent les raisons de ce refus : l’Ordre des médecins est un organisme corporatiste et patriarcal. Marion, médecin généraliste, nous en dit plus sur les raisons de cette lutte, mais aussi son organisation et les possibilités de soutien.

L’Émancipation : Peux-tu te présenter et présenter les structures dans lesquelles tu travailles ?

Marion : Je suis médecin généraliste, salariée dans deux structures médico-sociales : un centre d’hébergement accueillant des personnes SDF atteintes de pathologies chroniques et un centre de santé sexuelle.

Par ailleurs, j’ai une vision militante de mon travail que je défends collectivement avec d’autres soignant·es à travers des engagements associatifs. Je suis membre de l’association Pour une MEUF (Médecine Engagée Unie et Féministe), association de soignant·es qui lutte contre le sexisme et les autres formes de discrimination dans le soin. Je suis aussi syndiquée au SMG (Syndicat de la Médecine Générale).

L’Émancipation : Tu fais partie d’un collectif de médecins qui dénoncent l’Ordre des médecins et son fonctionnement, peux-tu nous dire ce que vous dénoncez et quelle(s) forme(s) a pris votre lutte ?

Marion : Notre colère contre l’Ordre des médecins n’est pas nouvelle, des mouvements d’opposition ont déjà existé dans les années 80 (une des promesses de campagne de François Mitterrand était d’ailleurs déjà de supprimer les ordres professionnels). Ce mouvement a repris de l’ampleur après la publication d’un rapport accablant de la Cour des comptes sur l’Ordre des médecins en 2019.

Cette institution, issue du régime de Vichy, a pour mission officielle de “veiller au respect des principes de moralité, probité, compétence et dévouement” et “à l’observation par les médecins de leur code de déontologie”.

Nous constatons, et le rapport de la Cour des comptes abonde en ce sens, que l’Ordre est surtout un organisme privé corporatiste, patriarcal, peu représentatif du corps médical, au fonctionnement opaque avec de grands désordres comptables et de gestion. L’Ordre exerce peu ou mal des missions de service public importantes qui justifient son existence : contrôle lacunaire des contrats entre les médecins et l’industrie pharmaceutique, absence d’action au niveau des refus de soins de la part des médecins… L’ordre est une juridiction d’exception : condamnation de médecins faisant état du lien entre la santé des salarié·es et leurs conditions de travail, condamnation de médecins signalant des violences faites aux enfants… Enfin, l’Ordre a, depuis sa création, défendu un modèle de soins purement libéral et pris des positions politiques contraires au bon fonctionnement du système de soin et à la santé des habitant·es. Pour ne citer que les plus récentes : il s’est opposé à la généralisation du tiers-payant (dispense d’avance de frais pour les patient·es) et a laissé se développer les dépassements d’honoraires, il ne fait rien pour défendre le service public hospitalier et a laissé s’installer les déserts médicaux. Il s’est opposé à l’allongement des délais pour la pratique des IVG, il couvre de graves faits de pédocriminalité et d’agressions sexuelles de la part des médecins sous l’argument de la défense de la “confraternité et de l’image de la profession”. Ces éléments sont plus détaillés dans un blog que nous avons publié sur Mediapart https://blogs.mediapart.fr/collectif-smg44-pour-la-dissolution-de-l-ordre-des-medecins/blog/171022/pourquoi-nous-opposons-nous-l-ordre-des-medecins.

Bref, pour toutes ces raisons, nous avons décidé d’arrêter de payer nos cotisations annuelles qui sont pourtant obligatoires. Nous ne voulons pas cautionner le fonctionnement de l’Ordre des médecins et leurs prises de position qui sont à l’opposé de nos valeurs et de notre éthique professionnelle. Pour cela, nous sommes convoqués·es au tribunal prochainement. Nous tenons à préciser qu’en nous opposant à l’Ordre, nous ne prônons pas une dérégulation complète de l’exercice médical. Nous pensons que les missions initialement confiées à l’Ordre sont essentielles dans le contrôle de l’exercice médical mais elles pourraient être assurées par d’autres organismes publics (CPAM, ARS, syndicats, comité d’éthique…).

L’Émancipation : Plus précisément, vous affirmez que l’Ordre des médecins est une institution patriarcale, peux-tu nous expliquer pourquoi ? En quoi cela fait-il obstacle à tes pratiques ?

Marion : Plusieurs points illustrent selon nous le lien étroit entre Ordre des médecins et patriarcat, dans le sens d’un système de domination des hommes sur les femmes et personnes minorisées de genre :

• Les femmes y ont longtemps été sous-représentées. Deux ordonnances de 2017 ont rendu la parité obligatoire au sein de l’Ordre. Celui-ci avait alors fait connaître son opposition à l’adoption de plusieurs de ces mesures, notamment “que la mise en œuvre de la parité était choquante[e] par sa brutalité arithmétique et dogmatique”. Début 2018, l’ordre comptait 3 311 conseillers ordinaux mais moins d’un tiers étaient des femmes (et seulement 9 % au conseil national) alors qu’elles représentaient près de la moitié du corps médical et près de 60 % des médecins nouvellement inscrit·es à l’ordre. L’Ordre des médecins ayant choisi, contrairement à l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes, de ne pas renouveler intégralement ses instances dès les premières élections suivant l’entrée en vigueur de l’ordonnance, la parité à tous les échelons territoriaux n’était prévue que pour 2022, une fois achevé le renouvellement par moitié de l’ensemble des conseillers.

• L’Ordre des médecins a toujours eu des réactions conservatrices lorsque les femmes et personnes minorisées de genre ont milité pour leurs droits à disposer de leurs corps. Ainsi, l’ordre des médecins s’est opposé à l’accès à la contraception dans les années 1960, à la légalisation de l’IVG dans les années 1970 et, plus récemment, à l’allongement des délais. Il défend à tout prix la clause de conscience permettant à certain·es médecins de refuser de pratiquer l’IVG, continuant à stigmatiser cet acte thérapeutique. Aussi, l’Ordre a pris position récemment dans des affaires impliquant des personnes trans, positions jugées transphobes par des associations de personnes trans.

• L’Ordre des médecins fait enfin office de juridiction d’exception. Cette justice corporatiste a ainsi permis de protéger plusieurs médecins agresseurs sexuels (la plus célèbre affaire étant l’affaire Joël Le Scouarnec, chirurgien qui devrait être jugé prochainement pour viols ou agressions sexuelles sur 312 victimes). A contrario, plusieurs médecins ayant signalé des faits de maltraitances sur enfants (en particulier deux pédopsychiatres) se sont vu·es condamné·es par l’Ordre des médecins ! En rendant de telles décisions judiciaires, en confrontant systématiquement les victimes à leurs agresseurs, l’Ordre participe à maintenir un système de domination patriarcal, rendant la parole des minorités dominées inaudible.

Ces prises de position impactent nos pratiques en continuant de véhiculer des messages problématiques : culpabilisation des personnes ayant recours à l’IVG, renforcement du sentiment d’impuissance et de honte des personnes victimes de violences sexistes et sexuelles, en particulier violences médicales… Ces messages doivent cesser, les patient·es doivent pouvoir être écouté·es sans jugement par les soignant·es et l’institution sensée les représenter.

L’Émancipation : Est-ce que votre lutte se développe ? Comment peut-on vous soutenir ?

Marion : Nous sommes un groupe de cinq médecins dans le 44 à être convoqué·es au tribunal le 28 février prochain. En Ariège, un autre groupe de médecins est également convoqué pour non-paiement des cotisations.

Au travers d’organisations comme le collectif DésOrdre qui regroupe Pour une MEUF et des syndicats de médecins (le SMG et le SNJMG), de nombreux·ses médecins rejoignent notre lutte en refusant de payer leurs cotisations ou en la payant tardivement, au 31 décembre par exemple.

Nous appelons soignant·es et habitant·es à se joindre à nous pour demander la dissolution de l’Ordre des médecins et le transfert des missions ordinales actuelles à des institutions publiques en signant par exemple cette pétition : https://www.change.org/p/emmanuel-macron-dissolution-de-l-ordre-des-m%C3%A9decins. À Nantes, nous appelons également à un rassemblement de soutien le 28 février prochain à 8h devant le tribunal administratif.

Entretien réalisé par Karine Prévot