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Le néolibéralisme avance ses pions

La nomination de Gabriel Attal au ministère de l’Éducation nationale signe une accélération de la mise en conformité de l’École avec quelques-uns des traits caractéristiques du néolibéralisme.

D’une part l’imposition, y compris par l’autorité bureaucratique, d’un système normatif de conduite propre aux entreprises. D’autre part, et plus insidieusement, un système normatif de pensée qui s’appuie sur l’individualisme et la mise en concurrence des individus. Autrement dit, l’imposition de l’idéologie néolibérale1 dans toutes les sphères de la société ; l’entrée par l’École, c’est-à-dire par la formation des jeunes générations, semblant privilégiée. Les annonces récentes du ministre vont dans ce sens.

L’École comme une entreprise

Ce double objectif, autoritaire et d’individualisation, passe par le renforcement d’un style managérial dans l’École. Il vise sa rentabilisation par l’augmentation de “la productivité” de ses agent·es. Les récentes directives sur la formation continue, outre le fait qu’elles tueront à terme la déjà chiche formation dans le second degré, accroissent le pouvoir des chef·fes d’établissement. Ils et elles disposent, dès cette rentrée, du pouvoir d’interdire aux enseignant·es le suivi de ces formations : obligation de remplacer les heures de cours pendant le temps du stage et interdiction de s’y rendre si ce n’est pas le cas. Ce dispositif va de pair, dès maintenant, avec l’individualisation et l’éclatement du sens collectif, à travers la signature des PACTE enseignant, pour des missions de remplacement ou d’intervention rémunérés sur des taux horaires variables.

Les grandes lignes d’un programme qu’une commission devra finaliser fin novembre, énoncées lors de la “journée mondiale des enseignants” (sic !), actent un approfondissement et une accélération de cette orientation.

Les annonces ministérielles du 5 octobre

En premier lieu, et pour se garantir d’un contrôle sur les contenus, la formation initiale ne sera plus assurée par l’Université, qui déplaît tant lorsque ses résultats de recherche vont à l’encontre des croyances et prescriptions ministérielles, mais par l’administration de l’Éducation nationale. Dès la première année post-bac, la formation sera assurée par des “Écoles Normales du XXIe siècle”. Le réseau des INSPE, qui jouent leur survie, tente de proposer des scénarios de formation dès la L1.

Le domaine de l’éducation étant ouvert aux idéologies, on se doute de ce que seront les contenus que l’administration voudra voir enseignés en formation. Certains ex-ministres, dont Blanquer, promeuvent la méthode syllabique d’apprentissage de la lecture, à l’opposé de ce que montrent les recherches universitaires dans ce domaine. Et Hachette fait la publicité pour un manuel de CP basé sur cette méthode qui plaît tant à la droite. En mathématiques, le ministère mettra sans doute en avant la méthode dite de Singapour, et contribuera à la fortune de la Librairie des écoles qui l’édite. Cette méthode n’a pourtant que de très lointains rapports avec les résultats établis en didactique des mathématiques. Elle est diffusée depuis 2018 lors des formations institutionnelles ; notamment à travers la résolution de problèmes numériques basée sur des schémas en barre.

La nomination du neurobiologiste Stanislas Dehaene à la tête d’une commission des programmes éclaire, si tant est qu’on ait eu des doutes, la voie choisie pour appréhender l’apprentissage : le cerveau est premier, les interactions sociales en classe secondaires. C’est la perpétuation, depuis de Robien et Darcos, de l’imposition d’un courant contestable et contesté en matière de théories de l’apprentissage. Les thèses développées par ce courant qui se veut scientifique sont en consonance avec l’idéologie libérale : tout se passe chez l’individu, mais nous sommes hélas tous inégalement dotés !

L’organisation en cycles, mise en place depuis de nombreuses années à l’école primaire et généralisée pour le collège en 2015, est supprimée. Elle donnait pourtant un peu de souplesse dans l’acquisition et l’évaluation progressives des apprentissages, notamment en primaire. À la place des cycles, on établira des classes de niveaux en français et mathématiques. Va-t-on vers la fin du collège unique ?

Parmi les annonces figure la labellisation des manuels scolaires. Par ce biais, l’idée défendue est encore celle du contrôle sur les pratiques enseignantes et l’imposition d’une norme. Au lieu de développer la formation continue afin que les enseignant·es disposent des résultats des recherches sur l’enseignement et choisissent d’en tenir compte dans leurs pratiques quotidiennes, c’est plutôt le “je ne veux voir qu’une seule tête !” Développer une professionnalité enseignante par la formation est jugé dangereux car autorisant l’exercice d’une liberté appuyée sur des savoirs et non sur l’imposition idéologique.

École et idéologie néolibérale

Durkheim écrivait il y a un siècle, “il n’est pas d’homme qui puisse faire qu’une société ait, à un moment donné, un autre système d’éducation que celui qui est impliqué dans sa structure […]”. L’entreprise Macron-Attal a pour ambition d’accorder le système éducatif aux structures néolibérales des sociétés occidentales. Si cela consiste pour l’École à former, comme toujours, de dociles producteur·trices et consommateur·trices soumis·es aux règles que le capitalisme édicte, le projet va plus loin. Il faut, si possible de manière consentante sinon en l’imposant, faire accepter l’idéologie néolibérale du primat de l’individu, de la concurrence, de l’autorité et de la norme ; tout d’abord aux enseignant·es. Comme l’écrivait Durkheim, la volonté d’une seule personne ne saurait suffire : c’est seulement par la lutte collective, et conscients de l’enjeu social, qu’un tel projet pourra être mis en échec.

Yves Matheron

  1. Voir Alain Bihr, L’idéologie néolibérale : https://journals.openedition.org/semen/8960 ↩︎