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Comme une louve

L’ASE et la surveillance des familles en situation de pauvreté

Affirmant haut et fort leur rôle de protection de l’enfance, l’ASE, et les diverses institutions qui gravitent autour, censées agir au nom de “l’intérêt supérieur de l’enfant” ont de fait un rôle néfaste et exercent un contrôle social, normatif et pernicieux sur les individu·es, et les familles les plus marginalisées.

Ce n’est pas la première fois que l’on s’interroge sur le rôle et le fonctionnement de l’ASE, dont une des missions est d’assurer la prise en charge des enfants “en danger”, deux documentaires ont été consacrés aux foyers d’hébergement et à la violence, morale, physique voire sexuelle qu’y subissent les enfants placé·es, et ce afin d’alerter pour que des solutions soient trouvées, des réformes mises en place.

Réalisés à plusieurs années d’intervalles (2019-2022) ces documentaires de Sylvain Louvet sont bien sûr parcellaires mais le constat, qui ne peut être généralisé, est effrayant puisque le 2ème montre que rien n’a été fait et qu’y prévalent les mêmes (dys)fonctionnements engendrant les mêmes violences1 .

L’historien et écrivain Yvan Jablonka a consacré une enquête 2 sur un fait divers l’“affaire Laëtitia”, cette jeune fille enlevée à sa mère par l’ASE, placée très jeune avec sa jumelle dans différentes familles d’accueil, et qui a été assassinée dans d’horribles conditions, lors de son dernier placement en famille dont un des parents, le mari, s’est révélé abuseur de la jeune fille.

Adapté à la télévision en 2020 par le réalisateur Jean-Xavier de Lestrade, sous forme d’une mini-série3 (disponible sur Netflix et sur YouTube) l’enquête est fondée sur les témoignages des proches, des témoins, enquêteurs, magistrats, personnels socio-éducatifs, enseignants de Laëtitia ainsi que sur les dossiers des jumelles à l’Aide Sociale à l’Enfance, mettant en lumière l’aveuglement des institutions. Sous-titré La fin des hommes le roman est aussi une réflexion sur la toxicité de la masculinité (réflexion qu’il poursuivra dans son ouvrage Des hommes justes).

Quant au film de Caroline Glorion, Comme une louve 4, il aborde un autre aspect de l’ASE, celui de la surveillance des familles en situation de pauvreté.

Lili, (fantastique Mathilde La Musse) 26 ans, élève seule ses trois enfants, elle se démène pour qu’ils aient un toit, soient nourris, aillent à l’école. Ses enfants sont sa raison et sa joie de vivre mais alertée par une assistante sociale de l’ASE (interprétée remarquablement par Sandrine Bonnaire, en contre-emploi) la justice décide de les lui enlever… Le film raconte son combat pour les récupérer.

Ce film est inspiré d’histoires vécues par des familles prises en charge par ATD-Quart Monde en Normandie, le scénario a été bâti avec son aide et co-écrit par Arthur Igual, également interprète du film.

Il montre avec précision le processus de dépossession à l’œuvre, Lili n’entrant pas dans les schémas normatifs des institutions – des services sociaux ou de la justice – désarmée face aux différentes institutions, n’arrivent pas à se “contrôler” lorsque la situation lui échappe, ne possédant pas la capacité de s’adapter.

L’une des scènes les plus fortes du film, violence à l’état pure, montre l’intervention des policiers devant l’école primaire arrachant à leur mère les enfants hurlant de peur, (scène qui se joue vraiment lorsque les enfants de migrant·es sont extraits des écoles pour être expulsés avec leurs parents).

Comme une louve est clairement du côté de Lili, victime des incohérences d’un système privilégiant le placement plutôt qu’une aide aux familles précaires. “Pourquoi le fric que vous donnez à la famille d’accueil pour s’occuper de mes enfants, vous ne me le donnez pas à moi ?”, interroge Lili.

Bien sûr tous les personnels de ces institutions ne sont pas à incriminer, bien sûr il faut protéger les enfants des adultes violents voire incestueux mais il ne faut pas que les solutions soient pires que les maux…

Caroline Glorion a été journaliste, grand reporter, autrice de plusieurs ouvrages. Désormais elle est scénariste et réalisatrice de nombreux documentaires.

De manière générale, elle s’intéresse au champ social, aux exclusions, aux droits de l’homme et a un regard cinématographique empathique sur les populations défavorisées, tout en mettant à distance sa caméra.

Bernard Foulon

  1. Sylvain Louvet dénonçait en 2019 le scandale de l’aide sociale à l’enfance. Il a obtenu le Prix Albert-Londres 2020 pour un documentaire sur la surveillance de masse, Tous surveillés 7 milliards de suspects. ↩︎
  2. https://fr.wikipedia.org/wiki/La%C3%ABtitia_ou_la_Fin_des_hommes ↩︎
  3. https://fr.wikipedia.org/wiki/La%C3%ABtitia_(mini-s%C3%A9rie) ↩︎
  4. https://www.francesoir.fr/videos-les-debriefings/comme-une-louve-film-caroline-glorion ↩︎