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Déconstruire le discours du promoteur médiatique du nucléaire

Le monde sans fin, bande dessinée de J. M. Jancovici et C. Blain, est un gros succès de librairie. Face à l’urgence climatique et au désastre environnemental en cours, il se fait le promoteur du nucléaire comme seule solution pour une énergie “décarbonnée” abondante.

Voici ce qu’écrivaient Anne-Lise Devaux et Charlotte Mijeon dans le n° 89 Réseau Sortir du Nucléaire 1.

Jancovici parle bien, tout est clair et carré, son raisonnement paraît logique et scientifique. Il sait trouver le bon mot. Face au désastre écologique, il nous parle de sobriété énergétique, ses conclusions sur la décroissance ressemblent fortement à celles que nous pourrions faire dans cette revue (Réseau Sortir du Nucléaire) ou à celles faites par le mouvement écologiste dans son ensemble.

Mais par ce procédé, Jancovici emploie la technique commerciale du « pied dans la porte ». Comment, subjugués par ces bons mots, et étourdis par son analyse de l’effondrement à venir, faite de chiffres et de graphiques en tous genres, comment ne pas adhérer à ce qui va suivre ?

À savoir la réponse globale et rationnelle qu’il fait en présentant le nucléaire, toujours sous son plus beau jour, comme la conséquence logique de ce qui précède…”

Une BD saluée de prime abord

Jancovici, avec l’aide du dessinateur Christophe Blain, a donc commis la BD Le Monde sans fin, qui aurait été vendue à 850 000 exemplaires.

À la fois vulgarisation scientifique dessinée, réflexion instructive sur notre relation (dépendance) à l’énergie et constat amer sur les dangers du réchauffement climatique, Un monde sans fin est pile dans l’air du temps. Pas étonnant qu’il soit best-seller.”

Présentation par la FNAC (qui commet d’ailleurs une erreur puisque “Un monde…” est le titre d’un roman de Ken Follet)

Mais si dans un premier temps la BD a été unanimement saluée par les médias mainstream, assez vite des voix se sont élevées car “[il] contient des erreurs importantes et un biais pro-nucléaire évident 2” relevées notamment par Alternatives Économiques ainsi que par des anciens de l’école polytechnique 3.

Reporterre a consacré un dossier 4 à ce sujet, mais rien ne semble y faire, le succès ne se dément pas, l’explication tient autant à la forme, une BD de vulgarisation, qu’au sujet pour lequel existe un fort désir d’information du public, mais aussi en raison des procédés employés : approximations, intox, tours rhétoriques.

Entre en compte, sans doute aussi, la renommée de Jancovici, “scientifique reconnu”, fondateur du Shift Project et “bon client des médias” sur lesquels il est omniprésent.

Mais qui est J.M Jancovici

Diplômé de l’École Polytechnique, ingénieur (école sup. des télécommunications), enseignant vacataire à l’École nationale supérieure des mines, il est le “créateur” du bilan carbone, développé au sein de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Il co-fonde en 2007 Carbone 4, un cabinet de conseil, une prospère PME, qui vend des bilans carbone aux entreprises…, fondateur d’un think tank The Shift Project 5 financé par un système de mécénat provenant des entreprises membres, comme Spie, Sncf, Edf, Bouygues, Vicat, Rockwool, Vinci, l’Oréal ou Kingspan, appuyé aussi par des mécènes comme Thalys, Keolis, Asfa, l’Ademe ou Enedis.

Dans un article, Nicolas Cori, journaliste de Les Jours, qualifie The Shift Project de “pantoufle de vert des entreprises”. Selon lui, The Shift Project constituerait une plateforme au service de l’éco-blanchiment d’entreprises.

Ingénieur, chef d’entreprise, coopté par le pouvoir, lobbyiste, il n’est pas scientifique, en tout cas, ce qu’il reconnait lui-même : “[…] je n’ai pas publié d’article dans des revues scientifiques. Je ne suis pas un scientifique 6.

lI défend une vision autoritaire du monde – un gouvernement fort piloté par des experts – et a une vision masculiniste de la société”, analyse Didier Latorre d’Arrêt du nucléaire 34 (ADN) 7.

Des lectures critiques à diffuser

Pour en revenir à la BD, le réseau Sortir du nucléaire 8 (n°89 & 99) a publié un corrigé de Le Monde sans fin : 1) Déconstruire le discours du promoteur médiatique du nucléaire et 2) Les énergies renouvelables, est-ce vraiment voué à l’échec ?

De la même façon Ghislain DUBOIS 9 [diplômé de Sciences Po et Docteur en économie, fondateur en 2001 d’un cabinet conseil sur les questions de développement durable et de changement climatique, auteur ou relecteur de plusieurs éditions du rapport du GIEC] a entrepris une lecture critique de la BD10 :

Et je crois qu’avant un quelconque engagement sur les conséquences que peut avoir un livre comme « Le Monde sans fin » sur le débat public et la politique énergétique de la France, ce sont les approximations coupables, les raisonnements partiels et les contre-vérités – faut-il oser le mot « mensonges » ? – que je découvre dans les prises de position de Jean-Marc sur le rôle du nucléaire dans l’équation climatique, qui m’ont poussé à écrire ce démenti, puis à proposer à Nico (Caro) de l’illustrer…”

Il serait trop long de résumer ces différentes contributions critiques (4 pages dans Sortir du nucléaire n°89 & 99, et un PDF de 26 pages à télécharger 11) et c’est bien ce qui pose problème car il faut déconstruire les démonstrations de Jancovici dans des domaines où, tous et toutes autant que nous sommes, nous n’avons qu’une connaissance partielle, survolée des problèmes, ce qui arrange bien les tenant·es du nucléaire comme solution, et explique le succès phénoménal de la BD de Jancovici.

Quelques “erreurs” glissées dans la BD

1-Le calcul des émissions de CO2

Réponse : voir le schéma

2- “…il faudrait une éolienne tous les km2…” (le calcul avec les chiffres donnés aboutit en fait à une tous les 5 km2…!)

Réponse : il n’a jamais été question de couvrir tous les besoins avec les énergies renouvelables, ni même avec seulement les éoliennes ! Et les capacités des éoliennes sont volontairement minorées…

3- “… avec le photovoltaïque, il faudrait trois fois la surface de Paris…”

Réponse : ça parait énorme mais en fait ce n’est que 300 km2, au regard de la surface de la France 550 000 km2 , et puis les 300 km2 on les a déjà en raison de l’artificialisation continue des terres, qui représente déjà 9 % soit 49 000 km2, et enfin on peut tout à fait utiliser les toits industriels, les parkings …

4- Et puis dernière affirmation, “…on va devoir arrêter de vivre quand il n’y aura ni vent ni soleil…”

Réponse : l’argument anxiogène du “retour à la bougie…” personne, (à part L’Humanité dans les années 70) n’avait osé le faire. Les études faites par différents scientifiques sur les bases de “…périodes sans vent et sans soleil ou sur des périodes avec peu d’eau dans les barrages…” aboutissent toutes au même constat“…ça passe, on peut continuer à vivre aux mêmes rythmes qu’actuellement…”.

Bernard Foulon

  • Le monde sans fin, J.M Jancovici/C. Blain, éditions Dargaud, 2021, 196 p., 30€.
  1. https://www.sortirdunucleaire.org/Deconstruire-le-discours-du-promoteur-mediatique ↩︎
  2. https://www.la-croix.com/Debats/Contrairement-affirmations-Jean-Marc-Jancovici-scenario-100-renouvelables-soutenable-2022-05-16-1201215362 ↩︎
  3. https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=https%3A%2F%2Fwww.alternatives-economiques.fr%2Fdiscours-trompeurs-de-jean-marc-jancovici%2F00105505#federation=archive.wikiwix.com&tab=url ↩︎
  4. https://reporterre.net/La-BD-de-M-Jancovici-epinglee-pour-approximations-intox-et-procedes-rhetoriques ↩︎
  5. https://fr.wikipedia.org/wiki/The_Shift_Project ↩︎
  6. https://reporterre.net/Jean-Marc-Jancovici-Je-ne-suis-pas-un-scientifique#nb9 ↩︎
  7. http://www.arretdunucleaire34.org/Tribune-Jancovici-une-imposture-ecologique ↩︎
  8. https://boutique.sortirdunucleaire.org/index.php?id_product=666&controller=product ↩︎
  9. https://www.lemondesansfin-lecorrige.fr/qui-sommes-nous/ ↩︎
  10. https://www.lemondesansfin-lecorrige.fr/ ↩︎
  11. https://www.lemondesansfin-lecorrige.fr/wp-content/uploads/LeCorrige_28022023.pdf ↩︎