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La fiancée du poète

J’avais remarqué Yolande Moreau dans La Mer monte, (de Gilles Porte et elle-même en 2004). Et comme chacun·e, j’avais eu l’impression du surgissement d’un autre cinéma.

Cela ne s’est pas démenti ni dans la réalisation ni dans l’interprétation des films suivants dont le dernier.

Au-delà de ses créations et incarnation c’est la femme Yolande Moreau qui nous fascine, tant elle symbolise une autre vision du monde que celle qui nous afflige actuellement.

Au cinéma comme dans la vie, il y en a encore trop peu de son envergure, avec cette vaillance défiant les interdits et cette espérance née de la tentation du désespoir comme de l’ouverture aux autres, quels qu’ils soient.

Pour nous une illumination en cette période particulièrement tragique. Fermée autoritairement (par nos gouvernants) comme insidieusement par les plus dociles d’entre nous aux consensus mortifères, jusque dans ce qu’on appelle les “mœurs”, réduisant dangereusement si nous n’y prenons garde, notre vie relationnelle, voire militante.

Se laissant porter par le hasard des rencontres, au cœur d’un exil choisi, l’héroïne émerge d’un passé qu’elle définit elle-même comme un “champ de ruines” et fonde pas à pas, avec d’aussi marginaux qu’elle, une communauté tout à fait dans le style et l’esprit de 68, comme toute sa démarche, sa personne insoucieuse de l’âge et des canons de la beauté, ses robe somptueuses, sa longue chevelure blonde.

Sa liberté, fruit d’une vie en marge jusqu’à la délinquance, la pousse à rechercher à tout prix des remèdes au pire, d’abord pour simplement survivre, et progressivement pour s’additionner à et stimuler la liberté de ses compagnons improvisés. Ensemble ils finissent par triompher des embûches y compris matérielles et des préjugés. Et inventent une voie royale. Même l’austère sœur, d’abord scandalisée et écœurée par la fête d’un mariage blanc tout politique – “faux-vrai ou vrai-faux” – se laisse attendrir et gagner par l’anarchie générale.

Cette subversion vitale, soulageante est dans la ligne de films parents, tel en 1970 Alice’s restaurant d’Arthur Penn, très proche par la démarche existentielle évoquée.

Et surtout, Bagdad Café, de Percy Adon, en 1987 autour d’un personnage féminin comparable, fédérant une communauté.

Tous deux avaient fait courir les foules. Comme celui-ci, souhaitons-le, le fait déjà, avec son dénouement joyeux nous comblant comme le fait, pour des animaux assoiffés, un point d’eau découvert au cœur de la jungle.

M. C. Calmus

  • La fiancée du Poète de et par Yolande Moreau, France, 2023.