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“On te doit beaucoup”

Vendredi 10 novembre, un hommage était rendu à Charles Piaget. Le syndicaliste de Lip, le militant ouvrier, le socialiste autogestionnaire, l’anticolonialiste, celui qui refusait le chômage… Ci-dessous une des interventions au nom de l’Union syndicale Solidaires.

Je voudrai peut-être commencer par évoquer une séquence d’un court documentaire qui m’a marqué. C’est un échange, capté par la cinéaste Carole Roussopoulos, sans doute à la fin de la Marche du 29 septembre 1973, celle des 100 000 de Besançon, où on voit Charles parler avec un groupe de personnes, où se mêlent sans doute des soutiens et des travailleuses, des travailleurs, des camarades de Lip. Il parle avec elles, avec eux, de l’importance de la démocratie dans l’action, et voilà ce qu’il dit : “une section syndicale elle doit être sans arrêt en train de se remettre en cause, de ne pas bloquer les initiatives. Tu as besoin d’une organisation. Mais à tout moment, l’organisation elle a une tendance bureaucratique, une tendance de repli sur soi-même, de tourner en rond. Et donc il faut combattre ça. Et c’est la base qui le combat le mieux. Et si jamais tu te rends compte de ça, alors tu as la capacité d’écouter la base et de te laisser remettre en cause. Ou alors il n’y a plus rien à faire”. Et en l’occurrence n’avoir plus rien à faire, ça n’était visiblement pas son genre. Et c’est ça qui m’a marqué. Cette volonté de remise en question pour être utile au collectif, à ce “grand collectif” qu’il mettait toujours en avant.

Un autre exemple, il racontait comment, comme délégué syndical, il avait fini par se rendre compte, puisque Lip était pour plus de moitié une usine d’ouvrières, que ce n’était pas vraiment à eux les délégués hommes d’établir les revendications qui concernaient directement les ouvrières, mais à elles, les femmes. Il lui avait sans doute fallu du temps, il était l’homme qu’il était. Mais il avait fini par s’en rendre compte. Et il parlait sans problème des erreurs qu’on fait dans l’action collective, inévitablement. Il parlait des difficultés qu’il y a à trouver les leviers qui font collectif justement, qui nous permettent de combattre ce qu’il appelait “l’amputation de la matière cérébrale”, causée par l’aliénation de la société et du travail capitaliste. Mais aussi, parce qu’il avait aussi cette fibre autogestionnaire, des difficultés comme de la nécessité de déborder, comme il le disait encore, ce “foutu poids de la hiérarchie qui nous bouffe la tête”.

Pour lui, il fallait d’abord écouter les autres, s’écouter toutes et tous, pour mieux penser et agir ensemble, même si parfois ça peut vouloir dire aller contre ses inclinaisons premières. Parce que le syndicalisme est une activité humaine, profondément humaine. C’est la leçon de Lip, de toutes et tous les Lip, c’est celle de Charles. Du sens du collectif et du goût de la démocratie qu’il avait et qui sont aussi les nôtres.

Ça a été dit, Charles était également membre du Parti socialiste unifié, le PSU. Il y était venu par refus du colonialisme et de la guerre d’Algérie. Là aussi ça a un sens, celui de l’engagement qui pour lui se construisait avant tout dans et par les combats menés concrètement, effectivement. Et à propos d’engagement, Charles avait eu une formule pour en parler, un peu après la lutte de 1973, en disant que le socialisme, ça se jouait “tous les jours”. Une formule qui lui ressemble.

Parce que c’est ce qu’il faut faire : c’est l’action, c’est la démarche militante même, celle qui l’a animé tant d’années pour tant de luttes, qui le faisait encore battre le pavé de Besançon, jusqu’au bout, tant qu’il en a eu les forces. Et puis c’est aussi une forme d’éthique de l’engagement en lui-même : qui nous dit qu’il doit être sincère, intègre, qu’il ne s’agit pas de se contenter de postures ou de beaux discours. Et bien on gagnerait vraiment aujourd’hui toutes et tous à s’en inspirer, et à s’en inspirer grandement. […]

On te doit beaucoup Charles. Et je ne le dis pas seulement en mon nom mais en celui de toute l’Union syndicale Solidaires, on pense à toi avec respect, avec émotion, avec amitié.

Transmis par Noëlle Ledeur