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Le Movimento Popular, “syndicat des non-syndiqué·es”

Irene est dirigeante du Movimento Popular (MP), qui a rejoint la CSP Conlutas à sa fondation en 2011.

À l’origine du MP

Le logement n’est pas un droit garanti au Brésil. Bien au contraire, vu les salaires de misère et la précarité. D’où ce phénomène fréquent de familles qui occupent des terres pour y vivre.

Pendant les gouvernements du PT, de nombreux mouvements d’occupation ont cessé la lutte pour ne pas déranger le pouvoir. Mais il y a eu des exceptions, montrant que la compromission n’était pas inévitable. C’est ce qui est à l’origine du MP.

Le MP et la CSP Conlutas

En 2011 a lieu le premier congrès de la CSP Conlutas. Le MP, qui commence à exister, veut s’en rapprocher. C’est un petit groupe qui organise des travailleur·euses parmi les plus précaires sur une base territoriale. Selon Irene, c’est “le syndicat des non-syndiqué·es”. Il regroupe des gens qui quittent, sur des divergences, des mouvements pour le logement, des associations de quartier, des communautés de base, et des gens issus de mouvements culturels (un phénomène puissant en banlieue, surtout à São Paulo).

Ainsi, explique Irene, “on a créé un mouvement qui organise la lutte au plan territorial, soit pour le logement, soit pour des crèches, pour la santé, pour l’éducation, pour l’assainissement, contre la violence de la police, pour la culture, pour les loisirs, etc.”.

Elle poursuit : “On a discuté du fait qu’il était important de suivre ce mouvement qui se développait, de construction de la Conlutas. Parce que pour nous, il était important d’être ensemble avec d’autres secteurs de la classe travailleuse”. Et Irene voit la Conlutas comme un “espace”, un “point d’appui”, “un outil d’organisation de la classe ouvrière dans ses diverses formes de lutte, pas seulement syndicales”. Elle ajoute : “Particulièrement dans un pays comme le nôtre, qui a été colonisé, qui est apparu sur la base de l’extermination de la population indigène qui vivait là, qui a connu plus de 300 ans d’esclavage – dans un tel pays, il existe diverses formes d’organisation des luttes. Et la lutte pour le territoire a toujours été un élément marquant des luttes de notre classe. Des soulèvements indigènes aux quilombos, lieux peuplés par les esclaves qui fuyaient l’oppression, en passant par les occupations rurales, qui ont une longue histoire dans notre pays, et jusqu’aux occupations pour le logement. Le territoire, la terre, est un élément très important pour la reproduction du capital”.

Ensuite, le MP s’est développé dans la CSP Conlutas, et parallèlement à elle. Irene précise : “Aujourd’hui le MP est un mouvement structuré, et dans certains États, nous faisons partie de la Conlutas”

Quelles difficultés ?

Pour le MP, selon Irene, “l’une des difficultés, c’est qu’il existe au Brésil une très forte tradition de syndicalisme combatif, historiquement, qui est une forme traditionnelle d’organisation de la classe”. Elle observe que “la Conlutas a osé prendre une structuration qui embrasse non seulement les formes d’organisation à partir du lieu de travail, des syndicats ; mais aussi d’autres formes d’organisation”, prenant en compte la diversité de la classe travailleuse.

Le défi est donc d’organiser la classe ouvrière dans la pluralité de ses formes de lutte. Mais selon elle, “la dynamique syndicale est nettement prédominante, ce qui n’est pas un problème en soi. Je pense que la difficulté la plus importante, c’est de parvenir à incorporer, dans la lecture de la réalité, la vision du monde qui est celle de ce secteur qui ne s’organise pas sur le lieu de travail. Il y a donc un soutien inconditionnel, de la solidarité. Mais je pense qu’il faut encore avancer dans l’élaboration politique elle-même […] en ayant à l’idée que ce secteur représente la réalité de la plus grande partie de la classe dans notre pays, en tout cas aujourd’hui”.

Le syndicalisme possède, dit-elle, “une grammaire” (en termes d’organisation, d’espaces, de dynamiques) très différente de celle des mobilisations à base territoriale. La communication est souvent mauvaise entre le milieu syndicaliste et les acteurs/trices des luttes populaires locales, qui “ne se sentent pas tellement à l’aise” avec le monde syndical.

Des superpositions… parfois

Il y a des superpositions : des syndicalistes animent aussi des luttes populaires. Une militante du MP est “la principale dirigeante d’une favela énorme à Recife, et est aussi militante dans le secteur de la santé, parce qu’elle est travailleuse précaire dans ce secteur – elle assure trois emplois en même temps”. Une militante du Sergipe “participe aux luttes d’occupation et travaille dans le télémarketing, faisant grève avec son syndicat”.

Mais bien des travailleurs/ses du secteur informel ne peuvent pas s’organiser sur le lieu de travail, et s’organisent plutôt “sur une base territoriale, où elles trouvent un espace pour lutter, pour de meilleures conditions de vie, contre l’exploitation”.

Irene explique que le MP cherche toujours une vaste unité d’action avec d’autres mouvements sociaux. Pendant la pandémie, le MP a participé à un front dans une campagne nationale nommée “Despejo zero” (pas une seule éviction), qui a “rassemblé tous les mouvements sociaux de la campagne et de la ville contre les expulsions”, avec un certain succès.

Une période compliquée

Irene juge difficile la situation présente : la lutte contre Bolsonaro, conduisant au retour du PT au gouvernement, a mobilisé énormément de monde, avec l’unification de nombreux secteurs politiques et sociaux, mais cela a créé d’immenses illusions – l’idée que Lula va changer les choses – en particulier dans les mouvements populaires. Mais le gouvernement de conciliation de classes actuel est confronté à une situation économique très différente de celui des gouvernements Lula de 2003 à 2010, qui bénéficiaient d’une croissance économique assez rapide, avec une demande mondiale de produits primaires favorisant le Brésil. Aujourd’hui, c’est la crise économique, et elle s’approfondit. Il faudrait donc se mobiliser davantage. Mais cela ne se produit pas car beaucoup de gens font ce que veut le gouvernement. C’est très vrai pour le logement. Les mouvements populaires de ce type sont très liés au PT, et ils se sont beaucoup mobilisés pour faire gagner Lula. Malgré tout, l’insatisfaction et la frustration augmentent : “La base des mouvements populaires, et même les dirigeants de ces mouvements sont très frustrés avec le gouvernement Lula, et très en colère, parce qu’ils voient qu’après tout ce que nous avons pu gagner en matière de suspension d’évictions pendant la pandémie, maintenant, les suspensions sont terminées ; les expulsions reprennent. Et au moment où on a le plus besoin que l’État garantisse des solutions alternatives, le gouvernement n’a rien fait d’efficace sur ce point”. Toutefois, cela ne se traduit pas (encore ?) par la reprise des manifestations de rue.